Encore

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[Le titre de la nouvelle est en rapport avec Ancora de Ludovico Einaudi. J'adorerais que vous l'écoutiez en lisant, comme je l'ai fait en écrivant. Bonne lecture. xx]



Le tramway traverse la ville. Tout est bleu. Le bleu du petit matin, lorsque le soleil n'a pas encore dépassé les toits des maisons. Un bleu presque blanc, un bleu froid, d'une électricité pâle. Le tramway, lui, gris, se fond dans ce monde bleu sans un bruit. Il glisse. Sa longue surface métallique disparaît et réapparaît entre les rues.

A l'intérieur il n'y a presque personne. Des gens que la fatigue a laissé sur le bord du trottoir, un peu avant l'aube. Ils ne parlent pas. Ils se regardent à peine, les yeux tombants, les muscles encore assouplis par le sommeil, emmitouflés dans leurs écharpes. Les néons orangés de l'intérieur du tram donnent à leur peau une couleur blafarde.

Tout au bout du tram, dans la dernière rail, il y a Harry. Harry a les doigts posés sur la vitre blanche. Il dessine sur la vapeur qui s'est déposé là. Lui a seulement un gros pull, des cernes et la trace de l'oreiller. Mais Harry c'est... C'est différent. On ne saurait pas l'expliquer. Il faut le voir, sans doute. Harry ce n'est pas tout le monde. C'est quelque chose à part. Qu'on remarque ou pas. Mais si c'est le cas alors... C'est beau. Pour nous, ça devient beau. Harry lui, il s'en fout. De ce qu'il est, de ce qu'il émane.

On se dit : les gens vont au travail. Tous. Mais Harry ? Harry n'a pas de sac. Juste un livre posé sur le siège près de lui. Et ses doigts sur la vitre, qui dessinent, qui écrivent des mots qui s'effaceront avec l'apparition du soleil. Il fait des maisons. Des moutons. Des nuages. On ne sait pas pourquoi. Pour lui, ça semble avoir un sens. Au bout d'un moment il se détourne. Il met ses mains dans les poches de sa veste et il ferme un peu les yeux. Sa tête se secoue au rythme du métro. Le monde bleu devient un peu plus mauve, et c'est dans cette lumière là, cette lumière douce de l'aurore, que monte Louis.

Louis c'est différent aussi. Mais pas comme Harry. Louis c'est plutôt... très blanc. Très pâle. Louis c'est une chemise fripée, et une écharpe à grosse mailles. Louis c'est comme un adolescent vieux avant l'âge, ou le contraire, un adulte mal à l'aise dans une âme encore trop jeune.

Louis s'assoit sur un siège dans l'allée en face de Harry. Il ne regarde pas autour de lui. Il fixe juste ses pieds, mordillant la peau rose de ses lèvres.

Il n'a pas vu que Harry, lui, le regardait. Il n'a pas vu que ses yeux verts s'étaient écarquillés, il n'a pas vu que le bout de ses doigts s'était mis à trembler. Rien vu de tout ça, le regard de Harry qui devient gigantesque et humide, sa bouche qui s'entrouvre, qui respire difficilement, son cœur qui a comme une secousse. Rien vu du tout.

Louis, c'est juste le visage qui se tourne vers la gauche, et qui est soudain noyé dans la chaleur du soleil qui apparaît derrière les maisons. Toute sa peau qui devient dorée, et ses cils noirs qui dessinent des ombres troubles sur ses pomettes. Et ses yeux, ses yeux d'encres qui se diluent, deviennent plus clairs, tout ça dans la lumière du soleil, tout ça sous le regard d'Harry qui se perle de larmes immobiles.

Le tram continue son chemin dans le monde bleu et jaune, il glisse entre les arbres, les maisons, il traverse une place, et derrière le visage de Louis, impassible comme celui d'une statue, apparaît pendant quelques secondes le marbre turquoise d'une fontaine à eau, gigantesque. Puis encore les murs des maisons. Le paysage en toile de fond qui revient et s'efface, et toujours, toujours, le même nez, la même bouche, les mêmes yeux, la même peau. Toujours.

*

« Est-ce que tu seras toujours le même quand je reviendrais ? »

« Toujours. Mais c'est sans doute toi qui aura changé. »

*

Quand Louis se détourne et pose son regard sur celui de Harry, il ne le reconnaît pas immédiatement. Ou plutôt, c'est comme si il ne réalisait pas. Ce regard... Si familier. Comme quelque chose qui était avant tellement habituel qu'il faisait parti du paysage.

Et pourtant, son ventre se serre peu à peu, en même temps que ses yeux se posent sur la bouche de Harry. Sur ses joues. Son cou. Ses cheveux.

Alors, comme d'une même voix, ils murmurent.

Harry.

et

Louis.

Ancora - Larry StylinsonWhere stories live. Discover now