Une journée ordinaire 3/4

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— Vous ? Harcelé ?

J'avoue, l'information a de quoi me surprendre. Ce garçon est tout, sauf le prototype de la victime. Affabulateur pour ne pas dire manipulateur, il s'agit de l'exemple même du bel adolescent dont l'unique préoccupation se résume à sa courbe de popularité. Une courbe qu'il ne cesse de faire grimper et tous les moyens sont bons, les pires souvent.

— Wesh, en quoi ça vous surprend ?

— Kevin, pas de wesh ou de mots à consonances identiques dans mon bureau, d'accord ? Mon étonnement provient que d'habitude, c'est justement d'autres personnes qui sont assises dans ce fauteuil pour se plaindre de vous.

— Des jaloux, voilà tout.

— D'accord, donnez-moi le nom du garçon qui vous harcèle.

Il se tait. Sa bouche se tord, étrange.

— Ne me dites pas qu'il s'agit d'une fille ?

— Une fille, non ! Vous me prenez pour qui, une tarlouze ?

Son cri me provoque un bref sursaut. À croire que l'on vient de lui planter un couteau dans le ventre. De quoi pousser mon agacement. Je n'ai pas toute la sainte journée pour ce genre de bêtise.

— Bon, Kevin, vous m'expliquez ? Qui vous harcèle, alors, un professeur ?

— Non, bien que le prof de math, en ce moment. En fait, il s'agit d'un... d'un fantôme.

...

Non, là c'est trop. Après la gomme volante d'Hermione Grangé, la roucoulade de Bella et d'Edward le lampadaire dans les fleurs de monsieur Wollinzki, c'est la goutte qui fait déborder le vase.

— Où est caché le miniteloscoscope ?

— Le miniteloscoscope ? Mais, Madame, je ne filme pas.

— Arrêtez de vous moquer de moi, monsieur Richard. J'ai eu un début de journée compliquée pour ne pas dire, exténuante, j'aimerais qu'elle se termine d'une meilleure façon qu'elle n'a commencée.

— Je vous jure, madame la proviseure, ce fantôme est tout le temps là. Il me suit, je vous dis. Je ne sais pas ce qu'il me veut.

— Le fantôme de qui, d'abord ?

— Si je le savais. Il est... il est effrayant, avec ses cheveux tout dégoulinants.

Le gamin plonge sa tête entre les mains. Visiblement, il ne plaisante pas, pourtant, j'ai dû mal à croire les affabulations de ce petit menteur. Un fantôme, je vous jure, et pourquoi pas une pieuvre mutante ? Mes doigts tapotent la surface acajou de mon bureau, signe de mon énervement croissant. Bon, il me faut prendre l'air, et vite, sous peine de devenir folle.

— Kevin, si ce que vous dites est vrai...

— Mais c'est vrai !

— Si ce que vous dites est vrai, alors, je dois contacter le service départemental d'enquêtes.

— Un chevalier va venir pour moi ?

— Ne vous emballez pas. Je dois d'abord me renseigner, ensuite, nous verrons s'il dépêche quelqu'un sur le lycée. Et surtout, avant d'ajouter quoi que ce soit, retourner en classe, je vous prie. J'en sais assez pour entamer mes recherches sur la question. Allez...

Heureusement, le garçon n'offre aucune résistance. Il abandonne enfin mon bureau, sans l'ombre d'un au revoir ni même d'un merci, bien entendu. De quoi me pousser moi aussi à filer hors de cette pièce, histoire d'une inspection rapide de l'établissement dont j'ai la charge en l'absence de ma supérieure. Peut-être devrais-je lui passer un coup de fil, afin de l'informer de cette affaire de fantôme. Non, allons Solène, tu ne vas pas la déranger pour une histoire aussi farfelue. La seule chose que tu dois faire, c'est tenir le cap et maintenir l'ordre. C'est bien connu, lorsque le chat n'est pas là, les souris dansent. Avec moi, pas question d'espérer danser bien longtemps, un principe envers lequel je ne transige pas. Le respect, la droiture et la propreté, trois de mes crédos. Justement, en parlant de droiture, que vois-je ? Je traverse la cour, m'approche de ce coin de préau camouflé sous la pénombre. Une pénombre trahie par le bout rougeoyant d'une cigarette, autre élément formellement interdit dans mon établissement.

Une journée ordinaire [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant