PART TWO: ─ B I T T E R P I L L

Start from the beginning
                                    

Un à un, ils désertent les sanitaires en s'esclaffant grassement, l'abandonnant sur le carrelage frais et détrempé.

La deuxième sonnerie retentit et une voix éraillée lance ses ordres dans le mégaphone pour intimer aux étudiants qui traînent de s'empresser de rejoindre leur classe, des bocaux aux murs en crépi décrépis, des condensateurs de bourrage de crâne à mourir d'ennui, où les boulettes doivent effectuer des atterrissages silencieux sur des têtes plus ou moins creuses.

A la guerre comme à la guerre.

                                                                                          ***

- Arrête tes fantasmes.

La sécheresse de Tim le fait sursauter. Le son de sa voix aussi. Il pensait être seul et n'avait pas fait attention aux bruits de déplacement dans son dos. Ou alors c'était la haïssable manie qu'avait son frère d'apparaître comme une vision soudaine pour pointer là où ça fait mal, et puis repartir, les mains dans les poches, et un périmètre de distance épais autour de lui. Il incarnait l'ombre du Titan Colosse, celui qui écrasait en son sein les froissements étouffés des pâles ersatz qui ne constituaient plus que sa famille. Et puis, oscillant entre le fantôme et le sang tambourinant contre la chair, il y avait son cadet aux dents fendues, parfois cassées, souvent des bleus, plus nombreux qu'ils n'avaient jamais été, comme une compensation quelconque, un compromis qu'il se serait trouvé. Mais il n'y avait rien à savoir, rien à chercher, pas de contrat honnête à avouer dans le secret des murs qui résonnent ponctuellement, des éclats d'aluminium qui rebondissent entre ou contre les parois, comme un film dont on aurait censuré les images pour ne laisser qu'un filet audio, une sécurité dangereuse pour un mensonge dénué de tout désir de vérité.

Ils s'étaient isolés tous les deux, et chacun avait un peu perdu ou délaissé l'autre en cours de route sans envie de le retrouver ̶ à moins qu'il ne s'agisse de pur hébétement.

- J'ai le droit.

Avec précaution, Sully se détache de la lunette d'observation pour la mettre en positionnement de rangement. En dépit du détachement qu'il veut flagrant, son geste le trahit. De qui croyait-il se cacher.

- J'ai interrompu un moment privé.

- Tu as.

Un temps.

- Désolé.

- Aucunement.

Des bribes de paroles et une radinerie d'explications. On ne fait plus de stocks, pardon, on y a mit fin, veuillez vous adresser à un autre service. C'était ridicule et nul des deux n'était en position de se moquer, de la forme au contenu en approuvant les raisons.

Ils sont face à face et leurs regards ne se croisent pas, formant des lignes droites parallèles et exagérément statiques.

Avec humeur, l'adolescent achève son entreprise et tire à regret la fenêtre coulissante puis le rideau. D'un désinvolture feinte, il s'assoit sur son lit, froissant oublieusement la couverture tendue à la perfection; c'est une ride dans son masque. Vendue.

- Alors? Qu'est-ce que tu veux.

- A ton avis. Je ne suis pas aveugle, tu sais?

Non, je ne sais pas. Toi non plus d'ailleurs. Il se mord les lèvres pour s'empêcher de répondre, c'est comme une provocation lancée avec une enrobante douceur qui lui liquéfie l'estomac. Bile. Il allait falloir qu'il cesse de tout considérer comme une agression, une menace à son égard ou une potentielle forme de méchanceté. Les monstres se découpaient aujourd'hui dans les murs et les contours flous que tous traînent avec eux. Il en faut peu pour virer paranoïaque et même moins pour hocher du chef aux superstitions qui croisent les rumeurs.

Les partitions éparsesWhere stories live. Discover now