Chapitre 6 - partie 4

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À l'aube, Izril s'éveilla sans personne à ses côtés.

L'absence d'Arkhoris, retourné dans ses appartements entre deux tours de garde, pesa sur ses épaules comme si un poids lourd s'y était soudain abattu. Il se sentit incomplet, privé d'une importante partie de lui et le chagrin fut plus grand lorsqu'il songea qu'il ne pourrait pas le revoir avant le lendemain.

Résigné, il se leva, se sachant incapable de retrouver le sommeil malgré l'heure matinale. Signe, couchée sur l'herbe verte, le regarda se préparer sans hâte et sans entrain.

Après de longues minutes passées à le voir aller et venir dans toutes les pièces, elle se leva et s'approcha discrètement de lui, à tel point qu'il ne la remarqua pas de suite malgré son imposante taille. Quand il la vit, il lui octroya une caresse affectueuse avant de s'agenouiller sur le sol de la terrasse. Il déplaça un pot de fleurs de taille généreuse puis glissa ses doigts dans la jointure de deux petites dalles. D'un geste dosé, il délogea le carré de pierre, dévoilant une cachette secrète où étaient entassés des papiers. S'il ne faisait aucun doute que certains d'entre eux étaient récents, d'autres, en revanche, semblaient dater de longtemps.

— Si tuer Gabir ne sera que l'accomplissement de ma vengeance, ça, en revanche, c'est le rêve de ma vie, lui dit-il sur le ton de la confidence.

Il attrapa la pile de feuilles et la sortit. Signe se pencha dessus mais ne comprit pas grand-chose. Elle ne savait pas lire les langages humains, elle qui avait déjà du mal à déchiffrer le Kalega. L'homme se pencha vers l'animal, soucieux de pouvoir être entendu, et lui murmura :

— Ce sont des textes qui vont me permettre de retrouver Lehnumia, l'oasis cyan des Anciens Rois du désert. Mais pour l'atteindre, j'aurai besoin de tout le soutien du prochain empereur de Faror. Haydar est un vieil homme au cœur immense. Il est seulement trop influençable...

Ce fut tout ce dont Izril lui parla, car il se mura dans un silence grave à partir de cet instant. Il étudia chaque document avec patience et minutie, prenant régulièrement des notes sur des papiers vierges.

C'était en furetant dans la bibliothèque privée de Gabir, vingt-quatre ans auparavant, qu'Izril s'était mis en tête de chercher Lehnumia, cité légendaire au centre de nombreux contes jadis narrés par ses parents. Si les histoires s'étaient effritées dans sa mémoire au fil du temps, il n'avait pas oublié tous les pouvoirs que l'on prêtait volontiers à l'ancienne ville. L'âge et l'expérience lui avaient appris que la magie supposée de l'endroit ne devait être qu'une fantaisie de la part des contes Tamham. Ce n'était pas la Lehnumia faiseuse de miracles qui attirait Izril, mais la Lehnumia perdue au milieu du Grand Décor, désert aride s'il en était, où aucun humain n'osait plus s'aventurer. Quelques rares tribus tentaient bien de survivre au pied des montagnes Alay-da, mais elles n'allaient jamais loin dans les terres. Les Dudes, animaux agressifs à l'intelligence vive, s'y étaient établis depuis l'extinction de l'ancienne lignée royale et la chute de la cité, empêchant tout humain d'explorer l'intérieur du territoire.

Alors âgé de seulement douze ans, l'enfant s'était lancé dans cette quête sans vraiment savoir s'il parviendrait à quelque chose. Il n'avait, pour le guider, qu'un livre d'histoires et son envie de vivre libre, de fuir loin de Devenha et de la dynastie Sibsab. Il rêvait d'un endroit qu'il pourrait chérir, sans loi ni maître, rien que lui et le passé de sa tribu. Mais six ans plus tôt, son plan changea quelque peu lorsqu'Ark, nouveau chef de la garde, lui fut officiellement présenté.

Dès cet instant, Lehnumia devint l'espoir de vivre pleinement son amour pour Arkhoris. À Devenha, certains tabous persistaient et persisteraient longtemps. Même Haydar ne serait pas prêt à autoriser deux hommes à entretenir librement une relation intime au risque de bafouer ainsi des centaines d'années de traditions basées sur la Fertilité. Récoltes, relations, enfants... elle revêtait bon nombre de formes mais n'avait toujours qu'une seule représentation : une femme et un homme enlacés.

La Fertilité représentait l'espoir de tout bon Faroren dans cette région du monde où l'eau était rare, où l'entraide était vitale et où une progéniture nombreuse était un signe extérieur de richesse.

Izril avait cette maudite idole en horreur !


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Kalega = Dans l'univers du roman, vieille langue désormais très peu usitée. Les tribus nomades ont, à défaut de la parler, gardé une partie de l'alphabet.

Dudes = Dans l'univers du roman, mammifères mesurant en moyenne un mètre soixante-quinze au garrot et ayant une silhouette proche de celle d'un lévrier à poils longs.

Livre 2 - EivindWhere stories live. Discover now