Du pont, la cible avait ensuite emprunté le passage donnant l'accès en contrebas aux quais de la rive droite.

Sur une distance longue d'un kilomètre ou presque, ils avaient descendu les berges du fleuve où étaient amarrées toutes sortes d'embarcations en enfilade comme les voitures le long d'un trottoir.

Finalement, une question avait émergé dans l'esprit de Ricardo : et si la cible avait réussi à le repérer ?

Cela semblait improbable. Il avait pris toutes les précautions nécessaires. Changeant d'habits d'un jour à l'autre et allant jusqu'à se grimer. Malgré tout, la possibilité n'était pas à écarter. Et dans son activité, pour être le meilleur ou tout simplement survivre, ce qui revenait souvent au même, toutes les possibilités se devaient d'être envisagées.

Ce qui lui avait mis la puce à l'oreille venait de ce brusque changement de comportement. Soudain fugueur et fantaisiste. Cela ne collait pas avec le profil conformiste et un peu sauvage de la cible. Et Ricardo avait appris à se méfier des individus aux comportements changeants.

Mais si c'était le cas, si la cible l'avait vraiment repérée, à quoi jouait-elle ? Quelle était la finalité de ce jeu du chat et de la souris ?

La meilleure solution aurait peut-être été de la laisser filer et de remettre à plus tard l'exécution du contrat.

Mais la vérité, c'était que la situation excitait Ricardo.

À présent, il se trouvait en haut du pont Alexandre III, à côté d'un gigantesque pylône surmonté d'une sculpture dorée.

Il y a quelques minutes, la cible venait de pénétrer au pied du même pylône par une grande porte en fer forgé peinte en blanc, décorée de cinq coquilles Saint-Jacques. Devant la porte s'étalait un long tapis rouge et deux vigiles en costume en contrôlaient sévèrement l'entrée. La file des jeunes qui attendait pour pénétrer dans le night-club d'où s'échappaient des échos de musique techno était impressionnante. Cependant, la cible n'avait pas eu besoin de faire la queue. Un simple mot adressé à l'un des vigiles lui avait permis d'entrer. Ce qui n'avait pas manqué de piquer encore plus la curiosité de Ricardo.

En passant sous le pont, formé d'une structure complexe d'arches et d'arceaux en acier, il avait pu vérifier que la boîte disposait d'un autre accès, sous l'autre pylône, en aval. Celle-ci semblait néanmoins close.

Il était donc remonté afin de trouver le meilleur emplacement pour surveiller les entrées et les sorties du club.

Il espérait seulement que l'attente ne serait pas trop longue.

Il alluma une cigarette et jeta un regard circulaire sur la ville illuminée. Paris ne lui était pas complètement inconnue même si c'était la première fois qu'il y mettait les pieds. Il savait par exemple que le pont sur lequel il se trouvait avait été inauguré lors de l'exposition universelle de 1900. Censé symboliser la récente alliance franco-russe, le tsar Alexandre III en personne en avait posé la première pierre en compagnie du président français de l'époque. Richement décoré, le pont comptait entre autres trente-deux candélabres en bronze. En suivant la voie tracée par les dizaines d'ampoules dorées, on tombait sur un autre monument symbolique, situé dans le prolongement : l'hôtel des Invalides. Destiné à l'origine à accueillir les soldats victimes des guerres de Louis XVI et abritant depuis 1840 le corps de Napoléon 1er, rapatrié en grande cérémonie depuis Sainte-Hélène sous le dôme de la chapelle royale. Napoléon, dont il admirait l'audace et le courage, était l'un des personnages préférés de Ricardo. Avec l'ancien président du Guatemala, Jacobo Árbenz Guzmán, et Ernesto « Che » Guevara. Ricardo se retourna. Derrière lui, l'immense verrière du Grand Palais baignait dans une clarté bleutée. Décidément, la Ville lumière portait bien son nom.

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