Chapitre 1-2

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Je déglutis tout en hochant la tête. Apparemment je n'étais pas la seule à avoir du mal à m'en remettre, il avait tout simplement l'air de le gérer mieux que moi. Il avait très rapidement repris un air impassible, mais n'avait pu me cacher l'ombre de crainte qui avait traversé son regard.  Pouvais-je réellement me permettre de le mêler à mes histoires, alors qu'il était encore blessé, autant physiquement que mentalement ? Je m'agitai encore, de plus en plus mal à l'aise. Cette sensation de vide dans ma poitrine, conséquence de ma « trahison » envers Jude et de ma longue séparation d'avec Féline, commençait à devenir insupportable. Comme une plaie qui démange et que l'on ne peut pas gratter. Sans compter l'idée insidieuse qui ne m'avait pas quittée depuis mon départ de l'appartement, que j'aurais dû prendre ce coup de fil. N'y tenant plus je commençai à mon tour, à m'appuyer des deux mains sur la table, pour me lever.

— Écoutez...il faut que j'y aille. De toute manière, je n'aurais pas dû venir.

— Christina, stop ! On ne joue plus là, me dit-il en me prenant le poignet doucement, mais fermement. J'ai cru, pendant un moment, que c'était moi qui vous rendait nerveuse, mais à l'évidence ce n'est pas le cas, ou pas seulement alors... ?

— Il...il faut absolument que je rentre à mon appartement. Il y a quelque chose avec ce coup de téléphone, tout à l'heure...il faut que je rentre pour me sortir ça de la tête, lui expliquais-je maladroitement.

—Vous n'avez pas pris votre portable ?

— Je n'en ai plus. Je l'ai perdu pendant...je ne sais même plus où en fait et...je n'ai pas les moyens de m'en acheter un autre.

Tout en parlant j'avais réussi à me dégager de sa prise et à m'extraire de la banquette exiguëe. Je remis ma veste et commençai à me diriger vers la sortie. Je sentis, plus que je ne vis, Worth m'emboiter le pas, mais je décidai de ne pas y prêter attention. Si il était déterminé à me suivre je ne pourrai de toute façon pas l'en empêcher, alors autant ne pas perdre le peu d'énergie qu'il me restait à essayer. De plus, me rappelais-je brutalement en arrivant sur le parking, nous étions venus avec sa voiture. La mienne, tout comme mon téléphone, étant passés dans les pertes et profits, lors des évènements des deux semaines précédentes. Je secouais la tête résignée, j'avais l'impression d'avoir tout le poids du monde sur mes épaules. Lorsque la voiture de l'inspecteur  s'ouvrit avec un petit bip, je ne pus m'empêcher de tressaillir et de jeter tout autour de moi des regards angoissés. Worth ne dit rien et se contenta de grimper à l'intérieur. Je l'imitai et nous partîmes en direction de mon immeuble.

Le trajet, bien que court, me sembla durer une éternité. Une tension palpable flottait entre nous, rendant la situation...inconfortable pour nous deux. Lorsque nous nous garâmes le long du trottoir défoncé jouxtant mon immeuble, je m'empressai de sortir du véhicule, me disant que Worth n'avait sûrement plus qu'une envie...celle de me fuir au plus vite.  A priori c'était mal le connaitre, car il claqua sa portière, verrouilla sa voiture, et se mit à marcher à mes côtés, toujours en silence. Nous pénétrâmes dans le bâtiment, qui ne gagnait vraiment rien à être vu de jour même par beau temps. En fait, c'était encore pire ! Il allait vraiment falloir que nous pensions à déménager Cassie et moi, avant que l'immeuble ne nous tombe sur la tête. Je me mis à penser avec tristesse, que si nous déménagions, il était plus que probable que nous ne ré-habiterions pas ensemble. Notre amitié semblait s'être beaucoup trop dégradée en à peine une semaine.

Je déverrouillai la porte et me ruai sur le répondeur, mais il n'y avait rien, aucun message. Cela aurait dû me soulager, mais au contraire, cela ne fit que m'inquiéter encore plus. J'étais dans un tel état de nerfs, que lorsque l'inspecteur referma la porte d'entrée, je me retournai brusquement en poussant un petit cri. La pièce sembla subitement devenir trop petite pour moi et mes poumons trop grands pour ma cage thoracique. Je tentai de me raisonner, mais en vain. L'air semblait avoir de plus en plus de mal à se frayer un chemin à travers ma gorge. Tout semblait bloqué et une multitude de petits points blancs et jaunes commençaient à envahir mon champ de vision. Si je ne me reprenais pas très vite, j'allais finir par tomber dans les pommes.

Je vis Worth, entrer d'un pas tranquille dans la pièce, en regardant avec attention autour de lui. Son attitude changea en une fraction de seconde, dès l'instant où il prit conscience de la situation. Il s'avança précipitamment vers moi, mais n'eut en fait à faire que deux enjambées vu la petitesse de la pièce. Il hésita un moment, se demandant apparemment s'il pouvait tenter de me toucher ou si cela risquait, au contraire, de faire pire que mieux. Au moment où il s'apprêtait à me prendre par les épaules, visiblement pour me secouer, la crise cessa aussi vite qu'elle avait commencé et je parvins enfin à prendre une grande inspiration sifflante, le coupant ainsi dans son élan.

— Vous ne pouvez pas rester comme ça...Commença-t-il, en me regardant d'un air à la fois triste et compatissant, qui me fit aussitôt voir rouge, malgré ma respiration saccadée et ma tête qui tournait à cause du manque d'oxygène. Vous faite un...

— Stop ! Je sais très bien ce que vous vous apprêtiez à dire, j'en suis parfaitement consciente et...j'en ai marre de l'entendre ! Après vous allez me suggérez quoi...une thérapie ?! Humpf, je vois d'ici la tête du psy, lui assénais-je d'un ton coléreux, un peu gâché par ma voix essoufflée. Il n'y a pas de solution pour moi, continuais-je plus doucement tout en secouant lentement la tête. Je dois juste faire face et m'en sortir par moi-même. Il me faut seulement un peu plus de temps...c'est tout. Lui dis-je, autant pour m'en persuader moi, que lui.

— Vous n'êtes pas obligée de le faire seule...et je ne parle pas forcément d'un psy, ajouta-t-il précipitamment voyant que je m'apprêtai à ouvrir la bouche pour l'interrompre. Vous pouvez en parler avec Cassie, avec Jude...

C'est à cet instant que la digue céda et que je ne pus plus contenir mes émotions, qui déferlèrent sous forme de larmes dévalant mes joues en cascade, sans que je puisse les en empêcher. Je restais là debout, plantée à côté du téléphone, les bras ballant, à pleurer toutes les larmes de mon corps, sans émettre le moindre son. J'étais une loque. J'avais la sensation atroce que mon corps ne m'appartenait plus et qu'il faisait ce qu'il voulait, quand il le voulait, sans que j'ai voix au chapitre. Pitoyable ! Je vis un soupçon de panique traverser subrepticement le regard de l'inspecteur à la vue de la chose dégoulinante qui lui faisait désormais face. Mais bon point pour lui, il se ressaisit très vite, et au lieu de tourner les talons et de s'enfuir en courant (ce que la plupart des hommes auraient fait), il se rapprocha au contraire et me prit dans ses bras.

Mon premier réflexe fut de reculer, mais je ne trouvais même pas la force de le repousser. Ou peut-être qu'au fond de moi, je n'en avais pas envie. Je venais juste de prendre conscience, que c'était la première fois que quelqu'un me réconfortait depuis tout ce qu'il m'était arrivé, et ça faisait beaucoup de bien. Je me laissais aller contre lui, sans pour autant lui rendre son étreinte et nous restâmes là, sans bouger, jusqu'à ce que mes larmes se tarissent enfin. Lorsque je sentis mes forces, ainsi que mon libre arbitre me revenir, je commençais à me reculer doucement. Mais j'avais tellement pleuré que ma joue était collée à sa chemise blanche, devenue presque transparente, tellement elle était détrempée ! La gêne et la honte m'envahirent et je m'empressai de lui tourner le dos pour ne pas ajouter à mon embarras, déjà abyssal.

— Je suis désolée...pour votre chemise, insp...

— J'ai un prénom vous savez, m'interrompit-il gentiment. De plus, vous n'avez pas à être gênée, désolée ou quoi que ce soit d'autre. Vous avez une réaction normale à une série d'évènements anormaux. C'est plutôt positif, vous ne trouvez pas ? La plupart des gens auraient fini en maison de repos, au mieux, avec tout ce qu'il vous est arrivé. Regardez-moi et expliquez-moi enfin d'où viennent toutes ces marques et ces traces de coups.

Je me retournai doucement pour lui faire face, pris une grande inspiration et m'apprêtai à tout lui raconter d'un air résigné, quand le téléphone choisit ce moment pour se remettre à sonner.

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Chimère. Féline-Tome 2 (Publié)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant