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        Je m'éveillais en sursaut, les cheveux et mon t-shirt plaqués contre ma peau dégoulinante de sueur, étendu au milieu des draps éparpillées, encore hanté par cet invraisemblable rêve. Des souvenirs me revinrent en mémoire dans un tourbillon de sons et d'images tel un film accéléré, que mon esprit embrumé peinait à assimiler. Certains souvenirs me glacèrent le sang, en particulier celui de Londres noyée sous les déchets et de ses vieux bâtiments en ruines, cette tempête surnaturelle qui avait ébranlé les murs de l'immeuble, mais aussi et surtout, l'asphyxie qui avait failli avoir raison de moi. Dans un sursaut absurde, par réflexe, je me pinçais fermement la peau. Une cuisante douleur irradia aussitôt plus tard l'endroit meurtris, m'arracha une grimace mais je soupirais de soulagement. J'étais vivant après toutes ces inexplicables aventures. Alors que mes mains tremblantes se calmèrent peu à peu, des questions vinrent balayer les souvenirs. Que c'était-il passé ? Où étais-je ? Et par-dessus tout, qui était cette jeune femme à la chevelure flamboyante ? Et cet étrange château, existait-il ?
         Je prenais tout à coup conscience de l'endroit où j'étais. Assis sur le bord d'un matelas ferme dans une pièce plongée dans la pénombre, je posais la tête sur les mains, les coudes posés sur les cuisses. Seul un rayon de lumière filtrait sous le pas de porte. Il n'y avait pas un bruit, à l'exception des crépitements chaleureux d'un feu se consumant dans l'âtre d'une cheminée. Je me levais, chancelant, ignorant la douleur martelant ma tête. Je traversais la pièce aussi rapidement que le permettaient mes jambes flageolantes, puis ouvris la porte.
         Ce qui se trouvait derrière celle-ci me laissa sans voix. Un agréable loft ployait sous la vive lumière du soleil. La verdure luxuriante éparpillé partout dans l'immense pièce, donnait une touche chaleureuse. Les murs de brique rouge apparentes semblaient provenir d'une autre époque, impression renforcée par les poutres métalliques jaillissantes qui couraient d'un peu bout à l'autre de l'appartement. Sur l'estrade où je me situais, une spacieuse cuisine de type industriel au forme épurées, faite de noir et de bois, dominait le salon aménagé d'un canapé en cuir blanc, d'une table basse en verre posée sur une tapis art déco et d'une télévision à écran plat. A l'opposé, une verrière faisait office de séparation entre un couloir et la pièce de vie. J'aperçus un lit de camp installé à la hâte dépassé des panneaux de métal d'un noir mate, ce qui m'étonna légèrement. Je chassais mes inquiétudes d'un mouvement de tête, poursuivant mon exploration silencieuse. Sur la gauche, dans le renfoncement de la verrière se trouvait une autre porte d'un blanc laiteux, derrière laquelle devait sans doute se situer la salle de bain. La visite s'achevait sur la vue qui s'étendait au-delà des baies vitrées, à couper le souffle. Les toits illuminés par les rayons crépusculaires projetaient des éclats lumineux sur les flocons. Les vieux conduits de cheminées en briques crachaient leurs éternelles fumées grisâtres. Le parquet massif grinça sous mes pieds lorsque je dévalais les marches, m'approchant d'une fenêtre. Un grognement sourd me parvint sur la droite, me faisait légèrement sursauter. Mes sens s'éveillèrent, en alerte, prêt à se défendre en cas d'attaque. Mon premier reflex fut de me retourner, tétanisé, en direction de la source du bruit. Faisant un pas en avant, une voix rauque familière raya ;
— Hélio, c'est toi ? Tu es réveillé ? grommela la voix lourde de sommeil.
— Aaron ! Évidement que c'est moi, qui veux-tu que ce soit ? Tu m'as fait une de ces peurs... lançais-je en reprenant le contrôle de mes membres agités de soubresauts.
— Un grain de poussière te ferait peur... argua Aaron dans un murmure.
— Répète un peu ?
— Évidemment, fais comme chez toi. Tu devrais prendre une douche, tu ressembles à un tas de déchet ambulant. Tu trouveras tes vêtements dans la commode de la salle de bain.
— J'apprécie le compliment... Attend, comment ça « mes vêtements » ?
       Pour toutes réponses, Aaron soupira bruyamment, enfouissant paresseusement la tête dans son oreiller, remontant la couverture sur son visage lourd de sommeil. À présent, seules ses boucles de jais émergeaient de ce désert duveteux. Ses profondes respirations brisaient le calme ambiant. Je prenais l'opposé, sur ma gauche puis m'engouffrais dans la salle de bain d'un blanc épuré et immaculé. Une sublime baignoire de facture française aux pieds tapissés d'or prônait au fond de la pièce, majestueusement posée au pied d'une large baie vitrée qui surplombait les rues enneigées. Un coin de paradis. Pourquoi m'avait-il caché l'existence de cet appartement ? Où a-t-il trouvé l'argent pour se l'offrir ? Je n'en revenais pas, absorbé dans mes pensées, à ressasser les récents évènements. Mon cerveau surchargé débordait d'informations plus effrayantes les unes que les autres que j'avais d'urgence besoin d'évacuer. Mais à l'heure actuelle, rien ne m'aurait fait plus plaisir qu'un bain bouillant, débordant de mousse, à admirer la vue au-delà de la vitre gelée.
Je retirais mes vêtements en hâte, les pliant soigneusement avant de les poser sur une petite chaise en ébène, acculée dans un coin. Faisant demi-tour, focalisé sur la baignoire, je ne pouvais toutefois m'empêcher de me retourner, curieux, de vérifier si mes vêtements n'avaient pas disparu comme par enchantement... mais dans un léger soupir de soulagement, je remarquais qu'ils étaient précautionneusement empilés sur le coussin blanc. Un elfe n'allait tout de même pas faire ma lessive. Ridicule. Je me glissais dans l'eau chaude de la baignoire fumante, courbaturé. L'eau savonneuse ne tarda pas à se teinter de gris, mélangé à des courants rosâtres. Je n'avais pourtant pas souvenir d'une blessure. Instinctivement je me mis en quête d'une plaie. Tout à coup, un détail me revint en mémoire ; une fine coupure au creux de ma main. Glissant ma paume sous les faibles rayons du soleil, une cicatrice fendait ma peau rose, dégoulinante d'eau rougeâtre. Ce n'était donc pas un rêve... Je n'avais rien inventé d'aussi sordide ou est-ce que je rêvais encore ? L'appartement n'existait, fictif. Tout me paraissait réel. Chaque détail, chaque grain de poussière me paraissaient d'un réalisme incroyable. Je poussais un énième soupir, étourdit.
— Tu ne rêves pas, Hélio.
       Je sursautais sans ménagement, éclaboussant la surface du verre aux reflets multicolores ainsi que le carrelage laiteux. Depuis quand Aaron était-il là, à m'espionner, à me ridiculiser ? Je lui lançais un regard courroucé, tentant de me dissimuler sous les amas épars de mousse grise. Le pire étant qu'il était rentré sur la pointe des pieds, à la manière d'un chat se faufilant dans l'ouverture d'une porte mal refermée. J'étais certain d'avoir enclenché le verrou. Comment était-il entré ?
— Cesse de te poser toute ces questions, veux-tu ? lâcha-t-il d'un ton égal après plusieurs secondes à se contempler dans le miroir, inspectant sa mine tirée. Tu me donne mal crâne.
— Facile à dire, crachais-je.
— Qu'est-ce que tu peux être têtu... soupira-t-il.
Qu'est-ce que tu peux être arrogant..., pensais-je, levant les yeux au ciel.
— Tu peux être sérieux trente secondes, tu m'agaces !
        Face à mon visage décomposé, un mince sourire se dessina sur ses lèvres rouges. Aurais-je dit tout haut ce que je pensais tout bas ? Non, impossible. Mais alors, comment ?
— Tu peux être tranquille, tu n'as rien dit. Disons plutôt que je lis en toi comme dans un livre ouvert. Si tu veux des réponses, dépêches-toi de te laver. La journée risque d'être longue.
Ce fut sur ces mots qu'il me laissa en refermant délicatement la porte derrière lui, dubitatif, l'esprit plus embrumé encore que tout à l'heure. Des gouttes glissèrent sur mon visage strié de crasse.
— Et cesse de te poser toutes ces questions, je t'ai dit ! vociféra-t-il derrière la porte.

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⏰ Dernière mise à jour : May 03, 2020 ⏰

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