Prologue

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En cette fin novembre maussade, une violente tempête de neige faisait rage au-dessus des toits Londonien. Le ciel chargé de nuages menaçants, plongeait quiconque osait un coup d'œil dans sa direction dans un état secondaire, une sorte de bulle, une fatigue passagère. Toutefois, un sentiment de retour en enfance fleurissait dans les esprits grisés, épuisés. Des batailles de boule de neige, des bonhommes blancs avec une carotte ou un vieux bouton de manteau en guise de nez, naissaient un peu partout sur le macadam glacé.
       Les rues de la capitale anglaise habituellement animées par un flot ininterrompu de touristes, de Londoniens, d'écoliers en uniforme se chamaillant, de rugissements de moteurs et de ses animations de rues, paraissaient tristement désertes en ce jour pétillant de magie, où les flocons tombaient sans cesse pour se poser délicatement sur un lit blanc déjà bien haut.
      Les moyens de transport étaient bloqués. Les aéroports annonçaient des retards à n'en plus finir, cependant qu'un ralentissement général obligeait les voyageurs à prolonger leurs séjours. Pourtant, le hall et la galerie commerçante de la gare de King's Cross et Saint Pancras grouillaient de vie. Au chaud dans le hall de la gare, les voyageurs en attente de solutions jouissaient des boutiques encore ouvertes ainsi que d'un café fumant.
       Big Ben caché sous un manteau de poudreuse, ne laissait entrevoir que son impressionnant cadran, dont sa sonnerie mélodieuse n'était à peine plus forte qu'un murmure dans le vent. Les eaux troubles de la Tamise ne m'avaient jamais paru aussi paisibles qu'en ce mois de Décembre humide et pluvieux, typique de l'Angleterre. Les bateaux, amarrés le long des quais bordant le fleuve gelé ne bougeaient pas d'un millimètre, prisonniers de la glace scintillante.
      Suspendue dans un écrin laiteux, piégée sous un tapis de neige, Londres ressemblait à un décor de boule à neige avec lesquels les enfants aiment tant jouer, pourtant si délicates et fragile. Les vieux conduits de cheminé en brique crachaient leurs fumées grisâtres qui s'élevaient pour ne former plus qu'un avec le ciel maussade. Les feux qui crépitaient, consumant bûche après bûche pour ne laisser qu'un amas de cendres et de braises, offraient un peu de chaleur aux foyers. Les décorations de Noël ornaient déjà les façades des bâtiments de la ville. Les guirlandes électriques, étendues d'un lampadaire à l'autre sur toute la longueur des avenues, éclaboussaient passants et véhicules de leurs couleurs fluctuantes.

*

       Au campus de Saint Thomas, les amphithéâtres demeuraient étrangement bruyants. A quelques minutes de la sonnerie annonçant les deux longues semaines de révisions avant le premier concours, des éclats de rire et de voix résonnaient en peu partout dans les bâtiments bondés. Malgré la bonne humeur ambiante, les élèves en médecine de ma promo étaient tristement murés dans un silence pesant où seule la voix de Mr. Donovan, le bruissement des stylos ou le cliquetis des claviers d'ordinateur brisèrent cette quiétude.
        Le cours se déroulait comme à son habitude, dans un silence de plomb, un rythme effréné où chacun faisait de son mieux pour ne manquer aucun mot.
        Face à cette salle de spectateurs avides de savoir se situait une petite scène. Prônait en son centre un bureau en bois branlant jonché de feuilles et d'un ordinateur, accompagné d'une chaise à roulettes au coussin d'assise déchiré. Un tableau blanc d'une largeur démesurée occupait tout l'espace sur le mur face aux élèves. Des lignes d'un noir d'encre s'étendaient d'un bout à l'autre du tableau, à l'exception d'un coin où figurait un schéma projeté d'une multitude de neurones. 
        J'observais un instant les étudiants concentrés sur leurs notes, relevant seulement la tête pour jeter un coup d'œil au professeur qui agitait maladroitement son feutre dans les airs. Mr. Donovan était un homme banal. Ses cheveux grisonnants étaient un peu trop longs, ondulant légèrement sur les pointes. Il avait des yeux noisette qui s'enfonçaient dans leurs orbites, dévoilant de profonds cernes qui lui conféraient un air constamment éreinté. Il n'était ni grand, ni petit cependant que sa carrure témoignait d'une musculature révolue. Sa peau olivâtre arborait quelques infimes taches de rousseur, relevant d'avantage les poches noires qui cerclaient ses yeux.
        Durant un court instant, il se figea, cessant instantanément toute ses gesticulations grotesques. Soudain, ses yeux porcins balayèrent la pièce bondée. Malgré mon point d'observation, son attitude ne m'échappa. Il avait une idée en tête et comptait bien la faire naître au grand jour, à notre plus grand dam. Une fraction de seconde plus tard, son regard se posa sur un point invisible entre Aaron et moi. Aaron, qui n'avait rien remarqué, gribouillait joyeusement dans le coin d'une page blanche. Crayon en main, il réfléchissait à la vie qu'allait prendre son esquisse.
—     Monsieur Keith, j'espère ne pas vous déranger ? vociféra le professeur, la mine passablement las.
        Une multitude de tête se dévissèrent aussitôt pour foudroyer du regard le principal intéressé qui ne semblait pas être dérangé le moins du monde par cette interruption. Ce qui m'étonnai le plus, ne fut pas la réaction de mon meilleur ami, mais plutôt la façon dont Mr. Donovan s'était adressé à lui. Nous n'étions plus au lycée, après tout.
        Profondément muré dans sa concentration, Aaron n'eut aucune réaction, ce qui agaça d'avantage le Professeur dont les mains tremblaient de fureur. Alors que nos regards se croisèrent, un sourire figé sur mes lèvres, les joues de l'homme devinrent cramoisies.
—     Et je suppose que cela vous amuse, Monsieur Austin ? hurla l'homme aux yeux soudainement sombres.
         La voix, portée par le silence de la salle, claqua comme un coup de tonnerre. Tandis que ses échos continuaient de se répercuter contre les murs, Aaron se tira brutalement de sa rêverie. Le jeune homme aux cheveux noirs releva violemment la tête, sa nuque craqua douloureusement, lui arrachant une grimace. Tout en massant sa nuque raide, Aaron jeta un regard glacial au professeur, paisiblement assis sur son bureau, les mains jointes sur ses cuisses. Il arborait un sourire triomphant, très probablement fière de lui. Il frappa dans ses mains, fit tomber son feutre qu'il ne prit pas la peine de ramasser, riva tout à coup son regard à mes prunelles. Mr. Donovan se racla bruyamment la gorge, puis ouvrit la bouche ;
—   Bien, maintenant que j'ai toute votre attention Messieurs, nous allons pouvoir commencer.
       Aaron et moi échangeâmes un regard en coulisse avant de reporter notre attention sur le petit homme en contrebas, nous demandâmes bien ce qu'il attendait de nous. Plusieurs secondes s'écoulèrent avant qu'il ne reprenne la parole, rompant le fils de nos pensées tourmentées.
—   Lequel de vous deux peux me dire quel était le chapitre du jour ? À moins que vous ne soyez dans l'incapacité de répondre, ce que je comprendrais tout à fait ; l'un étant coincé dans le mécanisme complexe que sont les songes, pour l'autre absorbé par ses piètres œuvres d'art. 
       Des éclats de rire résonnèrent. Nous restâmes sans voix. Mr. Donovan venait littéralement de nous humilier. Son attaque me laissa figé un instant mais m'ébrouant prestement, je repris vite mes esprits. Sonné après cet uppercut mental, une haine dévastatrice déferla dans mes veines. Fermant un moment les yeux, je pris une grande goulée d'air pour tenter de refouler ma rage. En ouvrant de nouveau les yeux, prêt à affronter n'importe qui, j'osais une œillade vers Aaron. Tremblant de la tête aux pieds, ses iris d'acier étaient rivées sur le professeur. Les poings tant serrés, que ses jointures étaient aussi blanches que la neige. Dans un geste rassurant, je plaçais ma main sur son épaule, la pressant doucement. C'est alors que sans perdre ma rage de vaincre, avec une nonchalance exacerbée malgré la nervosité qui formait une boule au fond de mon estomac, que j'entrepris :
—   Vous nous avez expliqué que, les neurones, par leurs propriétés électriques et chimiques, assurent les fonctions du système nerveux telles que le traitement des signaux, des informations, la conceptualisation. Ce sont des cellules à besoins énergétiques importants. Les synapses assurent une zone de transmission chimique entre deux neurones, par un signal électrique par l'intermédiaire d'un neurotransmetteur. Néanmoins, je ne fais que survoler les grandes lignes, vous imaginez bien que reprendre phrase par phrase vos explications ne serait qu'une perte de temps, articulai-je, finalement amusé de la situation ou plutôt de la mine décomposée du professeur, blême.
         Le silence régna une fois de plus. Pas un murmure indigné ne résonna. Les soupirs frustrés restèrent coincés dans les cages thoraciques frémissantes de rage. Je pouvais presque entendre les cellules grises présentes me hurler dessus : « comment oses-tu t'adresser à lui de cette manière ?! ». Le professeur, quant à lui, se contenta de se gratter l'arrière du crâne d'un geste désinvolte, son poing gauche sur la hanche. Son regard fébrile passait de ses pieds à Aaron, tout aussi hébété que lui, les yeux écarquillés.
—    Je me suis visiblement trompé sur vous, Hélio. Je vous prie d'accepter mes plus plates excuses, admit-il en levant les mains en signe de capitulation. En revanche, je ne peux en dire autant de votre ami Aaron.
—  Je n'en attendais pas moins de vous, osai-je sous un déluge de regards médusés.
      Aaron, ayant subitement recouvré sa verve, son arrogance naturelle, l'usage de sa langue aussi coupante qu'une lame de rasoir, railla d'une voix ferme ;
—   Je crois que vous aviez quelque chose d'autre à nous demander, professeur, je me trompe ?
—   C'est exact Monsieur Keith. J'ai un défi médical pour vous, Messieurs. Attention c'est en effet un cas complexe, ce « patient » présente plusieurs symptômes qui n'ont peut-être aucuns rapports avec la neurologie. Vous devez être capable de poser un premier diagnostic dans les dix minutes suivantes, auquel cas, je me verrais contraint de vous ajouter une note bien inférieure à la moyenne.
        Un nœud se forma au creux de mon estomac alors qu'Aaron et moi échangeâmes de nouveau un regard. Donner un diagnostic dans un délais aussi court relevait de l'impossible. Commettre une erreur pourrait nous coûter nos places dans les meilleurs hôpitaux, perdre la tête de liste des chasses à la bourse, prendre un retard monstre sur tout un semestre... De nombreuses questions se bousculèrent dans ma tête où une multitude de scénario s'emboîtèrent les uns aux autres, me préparant à toutes les éventualités. Qui était ce mystérieux « patient » ? Quels étaient ses symptômes ?
        Ce fut à cet instant qu'une femme à la chevelure rousse pénétra dans la pièce, mettant un terme aux interrogations qui se bousculaient dans mon esprit. Un masque chirurgical dissimulait la moitié inférieure de son visage, ne dévoilant que deux profondes orbes sombres bordées d'épais cils bruns. L'impitoyable aura qu'elle dégageait, suffit à Aaron pour qu'il ne se fige d'effrois. Il était pétrifié mais ses yeux d'argent foudroyaient la jeune femme. Remarquant mes sourcils froncés, il s'empressa de secouer sa chevelure bouclée noir de jais, chassant ses arrières pensés avant de me décocher un sourire rassurant. Ne m'inquiétant pas d'avantage, je reportais mon attention sur la rousse. D'un pas hésitant, elle avança lentement vers l'estrade, grimpa les marches puis vint se placer aux côtés du professeur qui se tenait le dos droit, les bras croisés sur le torse. Une profonde affliction passa furtivement sur son visage lorsque la rousse se redressa, irradiant l'assemblée de son oppressante présence.
        Un violent frisson me secoua le corps tandis que des fourmillements apparaissaient sur ma nuque, comme un million de minuscules aiguilles s'enfonçant dans ma chair. Tout en me grattant fiévreusement le cou, une désagréable sensation d'être observé me noua les entrailles. Chassant cette mauvaise impression d'un coup d'épaule, je me tournais lentement, me heurtant à un mur gris défraîchit. Le temps de soupirer furtivement, de faire abstraction de ma paranoïa, les présentations étaient lancées :
—  Voici votre patiente, récita Mr. Donovan, qui d'un rapide mouvement de main, désigna la jeune femme à sa droite, ce qui me permis ainsi d'oublier l'étrange sensation d'être épié. Admise ce jour aux urgences, Léa, appelons-la ainsi, souffre de faiblesse dans les jambes, sa peau est anormalement blanche et ses yeux sont rouges, irrités et sensibles à la lumière. Cette patiente souffre également de pertes de mémoire temporaires. Vous avez dix minutes Messieurs, pas une de plus.

Fire King - Tome 1 : The Red Dawn.Where stories live. Discover now