Un plâtre immobilisait son bras droit et le maintenait plié sur sa poitrine. Deux cicatrices marquaient son flanc et son ventre encore musclé juste au-dessus du nombril. Je n'osais même pas imaginer ce qu'il était avant ça... Mes yeux voulurent descendre plus bas, mais les doigts au bout de son bras valide claquèrent.

Mon regard revint à son visage. Ses sourcils se froncèrent.

— J'espère que c'est encore chaud, vu le temps que vous avez mis à préparer mon petit déjeuner.

Était-il toujours de mauvaise humeur le matin ?

Sans lui répondre, je cherchai du regard où poser le plateau.

— Vous avez laissé votre langue sur le pas de la porte ?

Il pouvait dire ce qu'il voulait, je ne répondrais pas. C'était une de mes qualités professionnelles : je savais faire abstraction de ce genre de commentaires. Je paraissais peut-être fragile, voire simplette, avec mes cheveux blonds, mes yeux gris et ma peau blanche ; je n'en étais pas moins une personne que la vie n'avait pas épargnée (et qu'elle n'épargnait toujours pas !). Peut-être que c'était pour cette raison que j'aimais m'occuper des autres. Peut-être aussi que ça me permettait de relativiser.

Quoi qu'il en soit, je ne ressentais aucune pitié. Rick remarcherait un jour, son état n'était pas irrémédiable. Et il avait assez d'argent pour se payer des soins de qualité et une auxiliaire de vie à demeure, ce qui n'était pas le cas de la plupart des Américains !

Je trouvai une tablette à roulettes (ou un adaptable dans le langage hospitalier) à la gauche de son lit et y déposai son plateau, le sourire aux lèvres.

— Bon petit déjeuner, monsieur Thomas. Avez-vous besoin d'autre chose ?

— Elle n'a pas perdu sa langue, commenta-t-il en faisant rouler la tablette devant lui.

Je continuai à l'ignorer.

Apparemment, il n'avait besoin de rien d'autre. J'entrepris de vider son pot de chambre, alors qu'il faisait semblant de s'intéresser aux informations diffusées sur l'écran tout en mangeant ses pancakes au sirop d'érable.

La spacieuse salle de bains était carrelée du sol au plafond de minuscules carreaux de faïences de différentes nuances de gris : il y avait une douche à l'italienne dans le fond, une baignoire au milieu, deux lavabos intégrés dans des meubles laqués en face et des toilettes.

Je rinçai le pot, le mis à sécher et rejoignis mon patient. Il avait repoussé l'adaptable sur le côté du lit, certainement pour me signifier qu'il en avait terminé. Je pinçai les lèvres en comptant quatre pancakes dans l'assiette. Quel gâchis !

— Je ne me raserai pas aujourd'hui. J'ai rendez-vous avec le chirurgien demain, annonça-t-il sans même me regarder.

Les hommes et leurs poils ! Rasés trop tôt, ça les brûle, rasés trop tard, ça les gratte !

Je ramassai le plateau et le rapportai jusqu'à la cuisine avec une soudaine envie de respirer autre chose que l'air saturé de testostérone de sa chambre.

Juste trois mois...

Je pris le chemin du retour. Il n'avait pas bougé. Bien entendu qu'il n'avait pas bougé ! Il ne pouvait rien faire sans moi. Sauf peut-être agiter sa langue de vipère pour me lancer des remarques acerbes et tapoter du bout des doigts la zappette de la télévision.

— Vous n'avez qu'à me laisser une bassine d'eau et le nécessaire de toilette sur la tablette, je vous appellerai quand j'aurai fini.

Son ton avait légèrement changé. Il évitait de me regarder et avait même délaissé la télévision pour fixer le plafond.

Brisé(e) (BlackMoon Romance)Donde viven las historias. Descúbrelo ahora