Chapitre 2

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Conrad

Très sincèrement, je ne pensais pas tomber sur ce genre de personne dans une cuisine. Cette femme aurait plus sa place sur des podiums qu'à la plonge d'un restaurant.

Je dois reconnaître que lorsque je suis passé à côté de leur voiture tout à l'heure, je n'ai pas pu faire autrement que de la remarquer. Elle est vraiment sublime. Par contre, je me demande ce qu'elle peut bien faire avec le vieux croulant qui conduisait. Ils n'allaient pas du tout ensemble. Ça ne peut pas être pour son pognon vu la voiture qu'il conduisait. Une voiture familiale banale ! Je la verrais plus dans un magnifique cabriolet ! Ou sur une moto !

Je secoue doucement la tête, essayant de me retirer ses pensées dérangeantes du cerveau. Après tout, je me moque d'avec qui elle couche. À partir du moment où elle travaille comme il faut. C'est tout ce qui m'intéresse chez elle.

Et je dois reconnaître que lorsque je l'ai vue s'adosser à l'évier à attendre le travail, ça m'a légèrement mis hors de moi. Mais comment mon prédécesseur s'organisait-il ? Laissait-il vraiment des gens à rien faire ? Si c'est le cas, je comprends mieux que le restaurant soit en perte de vitesse.

Déjà, lorsque le patron m'a fait passer mon entretien d'embauche, j'avais tout de suite compris ce qui n'allait pas. La carte est trop volumineuse, et bien trop compliquée pour ce genre d'endroit. Ce qui fait que le service est lent. Et la nourriture pas forcément à la hauteur.

Vu où ce situe la gargote, elle devrait attirer les travailleurs le midi, mais les plats ne sortent pas assez rapidement des cuisines pour les attirer. Pour ce genre de gens, le temps, c'est de l'argent. Il faut donc que je refonde totalement la carte avant toute chose.

Mais déjà, il faut que je voie ce que vaut ma brigade. Le patron m'a laissé toute latitude afin de redresser son établissement. Je vais donc les tester les uns après les autres. Et me séparer de ceux qui ne feront pas l'affaire. Parce que très sincèrement, je me demande pourquoi il y a autant de monde dans cette toute petite cuisine. Mon prédécesseur ne faisait pas les choses en petit. Il y a presque un cuisinier pour chaque tâche.

Un saucier, un pâtissier, un boulanger, un commis aux viandes, un commis aux poissons, un commis aux légumes. Etc ... Je pourrais continuer toute la journée tellement cette cuisine est remplie.

Mais lorsque je l'ai vue s'affaisser nonchalamment sur l'évier, j'ai su qu'il fallait que je commence par elle. Je ne sais pas pourquoi, mais elle m'intrigue. Ce n'est absolument pas le genre de femme qu'on verrait à ce poste. Et je ne suis absolument pas sexiste en disant cela. C'est juste une intuition que j'ai. Et je fais toujours confiance à mes intuitions. Elles ne m'ont jamais fait défaut.

Comme celle que j'ai eu dix ans plus tôt. Je savais qu'il ne fallait pas qu'ils prennent la route, mais j'ai préféré me taire. Aujourd'hui, je me fie toujours à mes intuitions.

Cette femme serait franchement plus à son élément dans des soirées mondaines que dans les cuisines d'un restaurant de quartier. Il suffirait de lui faire revêtir une robe de soirée, et elle se fondrait dans la masse d'un cocktail haut de gamme.

Je me tourne alors vers l'apprenti dont j'ai hérité, et une colère noire monte en moi contre celui que je remplace. Je peux comprendre qu'un chef ne veuille pas partager ses petits secrets, mais ce n'est pas une raison pour laisser un jeune qui a envie d'apprendre à la plonge.

Il me paraît jeune, mais justement, c'est à cet âge qu'ils sont le plus malléable. Je prends donc un autre oignon, avant de le lui donner. Le petit le prend avant de l'observer sous toutes ses coutures comme si c'était la première fois qu'il en voyait un.

La recette de l'amour (sous contrat d'édition chez JennInk)Where stories live. Discover now