I. Exposition Sanglante

28 2 0
                                    

Le soleil finissait lentement sa course, laissant dans le ciel des couleurs rose, orangé qui offrait à l'œil tant de merveilles. Dans un quartier chic d'Oslo, une certaine effervescence entourait un loft luxueux transformé pour l'occasion en salle d'exposition. Il s'agissait du dernier vernissage de l'artiste du moment « Karl Andersson ». Un sculpteur reconnu pour ses statues réalistes et aux finitions absolument parfaites.

Beaucoup de monde était présent ce soir-là : des amoureux d'arts, aux conservateurs de galeries qui venaient admirer ses dernières prouesses artistiques. Certains espéraient pouvoir obtenir un contrat juteux avec l'artiste et ainsi assurer la renommée de leur galerie, tandis que d'autres rêvaient juste de posséder une œuvre pour s'émerveiller chaque jour dans leur humble maisonnée.
Toutes ses productions représentaient le corps féminin, exposant sans retenue chaque courbe qu'un corps féminin avait de quoi offrir. La femme incarnait pour l'artiste un symbole de perfection.
Karl Andersson était posté devant une statue dite « complète » d'une femme qu'il avait jadis connue, dont les formes parfaites l'avaient grandement inspiré. Le résultat qui était exposé sous ses yeux le rendait vraiment satisfait. Cette sculpture rendait justice à la beauté de la femme qu'il avait prise pour modèle. La finesse de sa taille, ses hanches voluptueuses qui accentuaient la chute de ses reins... Elle était tout simplement magnifique, figée dans l'éternité.

Une femme aux cheveux roux, coupés en carré vint le rejoindre et le félicita chaudement sur ses dernières créations.

— Je dois dire qu'une telle perfection est toujours très étonnante à observer. Vous avez un don qui tient du divin, mon cher ! lui assura la demoiselle d'une voix mielleuse à l'accent guindé.

Bien que l'homme ait une sainte horreur de ce genre d'individu, il se montra toutefois courtois et la remercia chaudement pour ses compliments. La jeune femme fut encore plus sous le charme de l'artiste qui possédait en plus d'un don incroyable, une prestance qui ne laissait personne insensible.
Très photogénique, il passait souvent dans des émissions de télévision et donnait des interviews pour des magazines sur l'art. Petit à petit, il avait appris à aimer toute cette attention que l'on s'évertuait à lui donner. C'était un homme de grande carrure aux cheveux noirs, dont la chevelure ne se laissait dompter par aucun coiffeur, il ne cessait de passer sa main pour les maintenir vers l'arrière. Ses yeux étaient d'un bleu cristallin qui fascinait toujours ses interlocuteurs. Son sourire faisait naître des jolies fossettes qui accentuaient son charme. Il était « Karl Andersson », le nouveau prodige contemporain de la sculpture. À cette pensée, le jeune homme ne pouvait pas s'empêcher de sourire davantage, laissant apparaître des dents immaculées.

Patiemment, il se mit à vagabonder dans cette galerie improvisée pour l'occasion, remerciant les invités d'un sourire chaleureux, discutant également avec des grands noms de l'art. Il se devait de faire bonne figure devant tout le gratin de ce milieu très sélectif.
Tout à son rôle d'artiste parfait, il entendit soudainement une voix lui murmurer d'un ton glacial, une infamie : « Assassin ». Karl se tourna brusquement, espérant apercevoir qui avait osé proférer une telle accusation, mais la personne la plus proche de lui était une femme qui se trouvait à cinq bons mètres. Elle discutait avec d'autres individus et ne faisait aucunement attention à lui, à cet instant précis. Était-il si fatigué que cela ? Avait-il eu une hallucination ? Au fond, c'était une possibilité...

Laissant ses interrogations de côté, il continua son tour de la galerie avec un verre de champagne dans la main droite, en faisant des sourires charmeurs aux invités. Un geste moindre qui aiderait les gens à dépenser leur argent pour ses sculptures et à attirer les conservateurs vers son art. Il se mettait également à répondre à des critiques qui lui posaient inlassablement des questions sur les détails de création et où il puisait son inspiration. Toujours les mêmes questions.

Quand une seconde fois, le murmure glacial se fit de nouveau entendre : « Assassin ». Karl excédé par cette provocation constante se retourna brusquement pour faire face à ce détraqué ! Qui pouvait ainsi l'insulter ? Se moquer de lui impunément ? Comme précédemment, il ne trouva aucune personne à proximité de lui qui aurait pu lui chuchoter à l'oreille. Il s'éloigna de quelques pas pour se retrouver face à face avec l'une de ses sculptures les plus réussies.
C'était des mains de femmes, si délicates, si parfaites... Karl fut soudainement hypnotisé, ne sachant pas réellement ce qui le troublait ainsi... L'espace d'une seconde, ses yeux furent attirés par un étrange écoulement au niveau de la cassure de l'avant-bras de la sculpture. Doucement, il approcha son regard pour découvrir cet étonnant phénomène. C'est alors qu'il réalisa que ce mystérieux liquide était rouge, épais et visqueux, une odeur métallique venait lui chatouiller les narines. La réalité de l'horreur qui s'offrait à ses yeux le percuta de plein fouet. C'était du sang ! Du vrai sang !

Un nouveau chuchotement lui parvint, plus fort que les précédents et dont les paroles différaient totalement : « Qu'as-tu fait papillon de nuit ? ». Cette voix était froide, sans émotion, elle s'insinuait au plus profond de ses entrailles pour ne laisser qu'une sensation de vide. Un long frisson glacé vint lui parcourir l'échine, faisant naître en lui une peur incontrôlable. Il se retourna brusquement prêt à s'enfuir le plus loin possible de ce lieu de perdition. Soudain, toute l'assistance de cette galerie temporaire se mit à hurler à pleins poumons. Toutes les sculptures se mirent à saigner, l'écoulement de sang suintait de plus en plus rapidement, venant assombrir la moquette claire du loft. Les femmes sculptées pleuraient des larmes rougeoyantes, les mains saignaient au niveau des « cassures », que ce soit les bustes sans têtes, des jambes sans troncs... En somme, le lieu s'était transformé brusquement en un théâtre d'horreur. C'était devenu une orgie sanguinolente, dont l'odeur âcre du sang venait vous couper littéralement la respiration.

À nouveau, la voix désincarnée résonna avec vigueur dans le loft : « Qu'as-tu ressenti, Papillon de nuit ? ». Karl était pétrifié d'effroi, les yeux exorbités par l'horreur qui défilait en face de lui. « Pourquoi maintenant ? Pourquoi cela m'arrive-t-il ? » Pensa le jeune homme. Les gens se bousculaient pour sortir le plus rapidement possible, certains trébuchaient et se vautraient littéralement dans la mare de sang qui grandissait à vue d'œil, poussant des cris de plus en plus stridents. C'en était trop pour Karl, il devait s'enfuir également. Les sculptures de femmes qui possédaient une « tête » le regardaient, l'accusaient de cette abomination. Pourtant, lui restait planté là, au milieu de ce lieu cauchemardesque. 

Expose-moiWhere stories live. Discover now