Un si charmant village

65 5 5
                                    

Par respect pour les survivants, tous les noms ont été changés.

J'habite depuis quelques mois dans l'un de ces villages qui servent de décors aux contes champêtres. Il n'y a ni poste, ni restaurant. A peine une petite épicerie où l'on peut acheter le stricte nécessaire, mais guère plus. Je dois vous préciser aussi que, bien que trentenaire, je ne suis pas marié et n'ai pas d'enfants.

J'ai donc emménagé seul dans cette bâtisse du XVIIème siècle : Une petite maison de quatre pièces toute en demi-étages. Au niveau de la rue, on y entre par une lourde porte de bois décorée d'une vitre et d'un entreras de fer forgé donnant sur une pièce qui me sert de buanderie, n'ayant pu mettre ma grande armoire à vêtements ailleurs à cause des poutraisons basses et irrégulières.

Après une volée de marches, on arrive dans la première pièce à vivre. Sur la gauche, il y a une petite cuisine agencée avec une porte à carreaux donnant sur une étroite arrière-cour de gravier. Une petite fenêtre perce le mur et n'apporte que peu de lumière à cause des pare-vue que les voisins ont installés le long de leur propriété. Sur la droite, une salle à manger éclairée de deux fenêtres à carreaux me permet de prendre mes repas confortablement, bien qu'il me soit difficile d'y faire asseoir plus de six personnes.

Une seconde volée de marche amène le visiteur dans la première sous-pente qui se trouve être mon salon. Celui-ci se trouve donc au dessus de la buanderie. J'y ai mis notamment ma télévision (qui n'est là que pour lire les films de ma collection de DVDs) ainsi que mon bureau avec mon ordinateur d'où je vous écris ces lignes.

Et enfin, au dessus de la cuisine et de la salle à manger, vous trouverez la seconde sous-pente qui me sert de chambre à coucher. Du fait que toutes les pièces sont ouvertes les unes sur les autres, hormis la chambre qui dispose d'une porte basse, l'on comprend aisément que cette maison est parfaite pour un couple sans enfants ou un célibataire dans mon genre. Hors, le propriétaire faisant partie de mes amis et ayant deux enfants à charges, j'ai obtenus des conditions plus que favorables pour la location de cette demeure qui appartenait à sa grand-mère.

Les premiers jours dans un nouveau logis demandent une certaine adaptation. On découvre les bruits du quartier et les grincements des boiseries. On fait la connaissance de ses voisins, de leurs habitudes et de leurs lubies.

Je découvrais donc madame Louise Chamartin, ma voisine d'un certain âge qui vit seule avec sa mère presque centenaire et qui avait fait fortune dans l'industrie pharmaceutique et les placements boursiers. Sa mère, Claude, était atteinte de sénilité mais il y avait dans le regard de cette femme, lorsque son état lui permettait de sortir de la maison, une lueur étrange, presque dérangeante.

Louise était une femme au demeurant charmante, bien que bavarde au delà du raisonnable, et elle s'occupait de Claude avec toute l'attention et l'amour qu'une fille peut porter à sa mère. Il lui est d'ailleurs arrivé, à plusieurs reprises, de venir requérir mon aide pour relever sa pauvre maman tombée de son lit ou de sa chaise.

Il arrivait parfois à Madame Louise de s'absenter une heure ou deux pour régler quelques affaires en ville. C'est lors de l'une de ses absence que se produisit le premier événement étrange que je souhaite vous narrer ici. 

Louise était sortie, et, comme la période ne se prêtait pas, pour moi, à de longues discussions sur les potins du village au seuil de ma cuisine, je profitais de se moment pour rempoter quelques plants d'herbes aromatiques dans l'arrière-cour.

C'est alors que je me retournais en direction de ma porte que je vis Madame Claude Chamartin, seule, en bas des escaliers menant à sa maison, me regardant avec insistance. Je restais d'abord interdit, n'ayant jamais vu la nonagénaire seule dans le jardin, et encore moins dans l'allée. Puis, je lui adressais un bonjour cordial avant de continuer ma route vers la sécurité rassurante de ma cuisine. C'est alors que la vieille dame me dit, et je cite de mémoire : " Saleté de voleurs de porcs!".

Le temps de cette tirade sans queux ni tête (il y avait belle lurette que le village ne contenait plus la moindre porcherie), elle semblait tout ce qu'il y a de plus lucide et haineuse. La seconde d'après, elle avait perdu pied avec la réalité et, hagarde, s'en retourna vers son intérieur douillet comme si l'événement n'avait jamais eu lieu.

Ayant de la famille dans la commune depuis trois générations au moins, je posais la question à mon oncle, agriculteur dans un autre hameau, concernant cette assertion. Celui-ci éclata de rire avant de m'expliquer que mon grand-oncle, mort depuis des lustres et n'ayant jamais vraiment entretenu de contacts avec le village, avait effectivement été accusé par feu Monsieur Chamartin, beau-père de Claude et grand-père de Louise, d'avoir volé quelques cochons.

En continuant d'interroger mon oncle Marcel, j'ai appris un fait étrange qui, quant j'y réfléchis, devait être le point de départ de cette étrange aventure qui est la mienne : Monsieur Chamartin était mort bien avant que Louise Guerrin n'épouse Louis Chamartin et ne rentre dans la famille. De plus, comme il s'agissait de mon grand-oncle maternel, je n'ai ni le même nom, ni la moindre ressemblance avec mon ancêtre.

Nuit noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant