Bien entendu, dans la réalité, cela faisait un bon moment que tu étais éveillé, que tu me fixais d'un regard compris entre l'incrédulité et la frustration que ces liens prodiguaient ; mais dans ma réalité, tout était parfait, beau, toi aussi tu étais splendide. Et encore, ma fantaisie purgeait à peine son état embryonnaire, je demeurais loin de la fantasmagorie pure, de l'extase, du paroxysme, du septième ciel.
Je ne perdais pas plus de temps. Une fois redescendu de cet éblouissement abstrait, mon corps, manipulé par un instinct primitif, se mit à agir de lui même. Mes mains trouvèrent le chemin sur ta peau halée et tiède, se glissant tels deux serpents sous ton t-shirt délavé. Mes ongles rencontrèrent ta peau, y laissèrent de longues marques rouges pudiquement caché par ce rideau de tissu. Il s'y passait là un acte intime, la pulpe de mes index découvrant bien vite la sensation exquise de tes mamelons roulant docilement sous ses attentions. Mes digits froids s'affairaient à durcir cette partie de ton anatomie tandis que mes dents lisses et ma langue brûlante et moite torturaient l'os de ton épaule à travers le fin derme qui, hélas, ne le protégeait nullement.
Je ne pouvais énoncer clairement la raison de ce débordement – peut-être était-ce l'atmosphère lourde autour de nous, suintante d'une pulsion sexuelle maladive –, mais lorsque ton liquide vital afflua tel un oisillon sortant de sa coquille, je me mis à lécher avidement cet élixir. Jamais, ô grand jamais, je n'avais par le passé osé goûté à ce mets banni, interdit par un reste de moralité, un reliquat d'humanité. Comme Ève au temps de la Genèse, j'avais commis un péché, j'avais goûté au fruit interdit. Kevin et moi-même avions apprécié l'odeur de ce sang ; il avait l'effet d'une fragrance délicate, contorsionnant nos viscères, les faisant danser, ébouillantant notre bas-ventre jusqu'à nous en faire bander. Jusqu'alors et sans faute une seule, nous nous étions contentés de ça : le parfum exquis d'un fluide interdit. Maintenant, à cet instant même où ce liquide carmin s'insinuait dans ma gorge pour se mêler à mes propres fluides, cette prohibition fut levée, réfutée !
Pendant que je m'abreuvais pieusement à ce puits infime, tu t'agitais sous mon emprise tout en restant effroyablement calme. Comment cela était-ce possible ? Tu gigotais, poussais parfois un râle contrarié face à cette domination imposée. Tes bras s'arquaient et se tendaient comme pour se libérer de leurs liens, dans une vaine tentative. C'était tout. Tu ne cherchais pas à me repousser quand bien même tes membres inférieurs continuaient à être complètement à leur aise. Sans doute aimais-tu ton traitement ? Toutefois, je n'avais pas l'esprit à traduire ce que ton comportement voulait bien me communiquer, ce qu'il trahissait.
Je soufflais des mots doux à cette oreille entièrement dévouée à mon écoute. « Mon amour. », « Mon tout. », « Ma Némésis. ». Voilà en quoi consistait ma sorte de prélude litanique. Ces appellations, tendres comme la caresse d'une plume, quittaient ma gorge dans un murmure jusqu'à atteindre tes tympans. Hélas ! du moins, hélas pour toi, il t'était impossible de me faire la sourde-oreille. Tout mouvement devait t'être horriblement douloureux... J'allais te sauver de cette souffrance ; mais pour l'instant, je voulais profiter de cette occasion. Pour une fois, sans doute la seule fois durant toute ma misérable vie, je pouvais faire ce que bon me semblait de ton corps.
Un rire mesquin résonna dans la pièce sombre et ton torse fut dévoilé à mes yeux. Un torse parfait... et d'autant plus parfait qu'il présentait là ma trace, mes griffes, ma marque. Le rouge te seyait comme un gant, cette couleur carmin d'un éclat appétissant luisant agréablement sur ta peau halée. Je tenais à croire à ta divine existence, bien que tu ne sois aussi pâle qu'un marbre de la Grèce antique. Tu étais mon marbre à moi, le mien, un exemplaire unique d'une collection privée.
Je te lançai un regard grisé de desirata avant de fondre sur ton abdomen, mes lippes se posant sur ton épiderme, l'embrassant de pars et d'autres, le réchauffant de baisers chauds, puis mon organe moite vint se mêler à la danse, traçant d'indescriptibles chemins ardents. J'avais la ferme impression de pouvoir faire fondre ton corps sous mon passage, celui-ci étant dévorant, incendiant, convoitant... J'extirpais de plus en plus de vocales de ta part : l'aménité de ma langue pansait les élancements de mes ongles lacérant toujours ta chair. Une pellicule, ou plutôt un amas de cellules se regroupait sous ceux-là, tandis que le doré laissait place à la sanguine.
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Une doucereuse escapade
Short StoryKeith se réveilla, mué par une envie qui consumait petit à petit son hôte... Il allait l'assouvir, pour son propre plaisir, par générosité et surtout par égoïsme.
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