_ Kevin, avais-tu honte de moi ? Auras-tu honte de ce que je m'apprête à faire ?

Oh non ! Non, non, non, ça ne va pas. Il me manque quelque chose ! Pensai-je tout en posant les mains sur cette poignée rouillée, objet de délivrance, promesse de délivrance. Je ne pouvais pas simplement m'adonner à un acte fantasmagorique. Non... J'avais besoin d'ustensiles, d'outils, de manière à graver cet événement dans nos mémoires, à jamais. À jamais. Pour toujours. Jusqu'à la mort. Je suis un artiste, pas un chien ! Quelle faute étais-je sur le point de commettre ? Un crime, un péché !

Je rebroussais chemin, le pas lourd, la mine grave, les sourcils froncés et les lèvres pincées. Je n'étais qu'un idiot ! Et toi donc, qui dormais encore paisiblement, tu n'étais qu'un idiot, toi aussi ! De ta seule et unique faute, j'avais failli manquer à mon rôle le plus important : celui de magnifier chacune de mes statues de marbre. Oui, tu étais l'unique fautif, tu m'accaparais entièrement, tu me possédais. Je levai un poing furieux et vengeur envers toi et envers moi-même, manquant de couper ma peau pâle sur une ferraille qui traînait là. Oh... Ah... Tiens, mais donc ! Que voilà ? Ce qu'il me manquait. Parfaitement. Parfait. Un magnifique fil barbelé enroulé magnifiquement sur lui-même pour former une boule presque indescriptible de beauté. A quoi avait-il servi ? Pourquoi se trouvait-il là ? Peu m'importait... Son histoire ne m'intéressait pas. Le plus important résidait dans son futur, son futur déjà tout tracé par mon esprit dérangé.

Un rictus incurvait maintenant mes lèvres, ma respiration se transformant en halètements courts. Si l'on m'avait vu, on aurait facilement cru que je manquais d'air, que j'avais oublié comment respirer, que la science la plus simple et préalablement et naturellement ancrée dans nos gênes avait été perdue. Non, il n'en était rien. L'air que j'inspirais m'était suffisant et je savais pertinemment comment le mécanisme respiratoire de l'être humain fonctionnait. J'étais juste ravi, immensément ravi, content, comblé, heureux. La pièce maîtresse de mon tableau ne manquait plus. J'avais complété mon œuvre interne. J'avais trouvé ce qu'il me fallait.

Vite, vite, vite, je retournais devant l'antre de mon aimé, les barbelés pénétrant dans ma peau dans une douce souffrance. Mon sang gouttait sur le sol, traçant mon chemin comme si j'avais jeté des morceaux de pain pour m'y retrouver. Je serrais mon outil dans mes deux paumes, un soupir d'aise me quittant au même instant, alors que mes muscles étaient pourfendus par de simples épines de fer. Kevin m'en voudra certainement... mais il ne pourra jamais me remercier assez. J'allais, pour lui, pour moi, pour nous, me rendre auprès de l'être qui nous est le plus important, le plus cher, le plus haï et adoré à la fois.

Je faisais donc de nouveau face à cette porte. Elle se dressait devant moi tel le portail menant au paradis. Mon propre paradis... un Éden bien loin de celui décrit dans la Bible. Il n'y avait, derrière cette porte, ni végétation, ni eau pure et claire, ni innocence ; juste un fruit interdit dans lequel je voulais croquer. Mais trêve de rêverie, je voulais pouvoir palper la réalité et non me contenter de l'imaginer. Ma main ensanglantée vint empoigner la poignée de la porte, la tourner, puis pousser ce vieux battant. Elle ne grinçait pas, contrairement à ce que j'aurais pensé... cela n'en était que mieux ; tu n'avais aucune chance de te réveiller à cause d'un bruit parasite. Aucune chance non... J'étais fourbe, j'avais le pas léger, je me faufilais dans la pénombre tel un félin traquant sa proie. Un pas, puis deux, puis trois, puis cinq, puis j'étais tout près de ton corps.

Légèrement, je me penchais sur ton visage. Tu étais mignon quand tu dormais... adorable. Un petit enfant, presque. On aurait pu te croire innocent, mais c'était loin d'être le cas, n'est-ce pas ? Je ricanais alors que mes lèvres vinrent se poser sur les tiennes. Un doux baiser pour que tu restes dans un sommeil profond. Tu ne devais pas t'éveiller... pas encore. Rien n'était prêt, tu n'avais simplement pas le droit de voir la pièce dans laquelle tu allais jouer sans que je me sois occupé de ton rôle. Je me sentais metteur en scène.

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