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Devant moi se dresse Georges Farreck, le grand, l'immense Georges Farreck, l'étoile d'Hollywood, l'archétype de la virilité tendre et romantique dans tous les blockbusters de cette dernière décennie. Georges Farreck, l'homme par qui j'ai découvert mon homosexualité. Georges Farreck sur l'image de qui je me suis masturbé durant toute mon adolescence. Georges Farreck, l'idéal masculin de toute une génération. Georges Farreck, l'homme dont les sites torche-culs se délectent à la moindre de ses incartades amoureuses. Georges Farreck, quoi !

— Bonjour Nellio.

Ma pomme d'Adam devient un sac de gravier qui me déchire la gorge en un incontrôlable mouvement de va-et-vient. Mes lèvres sont sèches, je secoue la tête. « Bonjour, je me suis beaucoup branlé sur vos films » me semble une bien piètre entrée en matière.

— Bon... jour...

De vieux réflexes prépubères sont sur le point de faire naître une érection. Alerte ! Les glandes explosent ! Mais, bon sang, c'est un homme comme un autre. Il me regarde, s'approche de moi. C'est Georges Farreck et il tient son visage à quelques centimètres du mien ! Eva éclate de rire.

— Regarde Nellio, regarde bien. Je sais ce que tu ressens.

Il me saisit la main. Mon cœur s'arrête, mon sexe se tord douloureusement dans mon pantalon. Doucement, il amène mes doigts dans ses cheveux, sur certains endroits de son visage.

— Regarde avec tes yeux, ton intelligence pas avec tes souvenirs ni tes sentiments.

Les cheveux sont grisonnants, irréguliers. Des pellicules s'effritent entre mes doigts. Près des paupières, de minuscules cicatrices disgracieuses témoignent des nombreuses retouches chirurgicales. Je découvre avec étonnement un léger strabisme. Par endroit, la peau est constellée d'irrégularités, de petites rougeurs. Je recule, effrayé.

— Vous n'êtes pas Georges Farreck ?
— Si, je suis Georges Farreck. L'humain appelé Georges Farreck. Acteur de profession et, accessoirement, très riche. Mais je ne suis pas le Georges Farreck que tu connais au visage lisse, parfait, celui qui n'apparaît que maquillé et retouché par ordinateur. Je ne suis pas le fantasme dont les publicités te martèlent le crâne. Ces publicités qui ont pris le contrôle de tes émotions, de tes glandes afin que tu dépenses ton argent dans n'importe quel film auquel je suis lié.
— Ou du café...
— Oui, il y a cette marque de café dont je suis l'égérie. Enfin, est-ce encore moi ? Ou est-ce un Georges Farreck auquel j'ai servi de modèle ?
— Mais pourquoi êtes-vous ici ? Comment connaissez-vous mon nom ?

Il me propose de prendre une chaise et se laisse lui-même tomber dans un fauteuil du salon avant de croiser ses jambes en une gestuelle élégante, calculée, presque chorégraphiée. Ses bras s'écartent sur les accoudoirs et un sourire ravageur se dessine sur son visage. Pas de doute, c'est Georges Farreck. Malgré ce qu'il vient de me dire, je me mords la lèvre inférieure et ferme les yeux. Georges Farreck !

— Cela fait longtemps que nous cherchons quelqu'un comme toi. Tu dois te douter que coordonner les résultats de dizaines d'équipes de chercheurs universitaires tout en gardant l'objectif ultime secret est un travail titanesque qui coûte très cher. Cela n'aurait pas été possible sans le soutien d'une personne ou d'une organisation extrêmement riche, quelqu'un qui profite du système mais qui, malgré tout, souhaite le changer. Ce généreux mécène, c'est moi !

Eva nous interrompt :
— Lorsque vous aurez fini de vous peloter et de vous lancer des œillades dans les fauteuils, on pourrait peut-être se mettre au travail ?

Elle est toujours aussi belle mais ses sourcils sur le point de se rejoindre semblent indiquer une contrariété. Je ne résiste pas et lui lance :
— Jalouse ? De moi ou de lui ?

Printeurs (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant