Chapitre 16

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— Stupide ?

— Seul.

— Je le suis, mais je suis un homme, à la différence de vous, princesse, siffle-t-il, donnant à cette marque de respect un côté ironique qui me dérange.

— Une escorte de vingt soldats vous aurait donné tort. Ils vous auraient tué sans vergogne.

— Pardonnez-moi, répond-t-il du tac-o-tac, d'une voix rieuse, je me suis mal exprimé. Je ne suis pas un homme, je suis une bête.

    Par une conscience exacerbée de sa supériorité virile, monsieur prône la suprématie du mâle. Je me renfrogne, gardant ma grimace dans le secret de l'obscurité qui est la mienne.

— Faire preuve de modestie vous est inconnu ?

— A quoi bon ? Je tuerai vingt soldats sans difficulté et gagnerai seulement quelques gouttes de sueur. Voulez-vous que je tremble ? Que je feigne la panique ? Ne me demandez pas cela princesse, je ne saurai comment exprimer un sentiment qui m'est inconnu.

    A la suite de sa tirade qui en dit long sur l'estime qu'il a de sa personne, le prince saute de son cheval et soupire avant de replacer son masque correctement sur son visage.

— Soyez rassurée, ce n'est pas un piège, me confie-t-il. Je ne compte pas vous égorger, tuer ou capturer.

    Tenant les rênes de sa monture et la torche dans une seule main, il fait quelques pas timides dans ma direction et tend une main que je ne saurais saisir tant les miennes sont crispées sur mon arc.

— Pas ce soir du moins, ajoute-t-il en riant presque, comme s'il s'amusait d'une blague qu'il est le seul à comprendre.

— Reculez, j'ordonne.

— Je voulais juste vous aider.

— Je n'ai pas besoin d'aide.

    Je le regarde rebrousser chemin, déçue de ne pouvoir connaître chaque expression de son visage. Son masque en cuir dissimule tant de peau que seuls sa bouche et son menton sont découverts. Pour le reste, je suis assez satisfaite de constater qu'il a pour habitude de s'habiller correctement – contrairement à sa démonstration de nudité ridicule de notre première rencontre officielle. En y réfléchissant bien, il n'y a pas plus ironique pour un homme que de cacher son visage pour dévoiler la quasi-intégralité de son corps. C'est rabaissant, quelque peu racoleur et inélégant. Est-ce surprenant pour un royaume qui n'est qu'excès ?

— Vous n'êtes pas à l'aise avec le corps à corps, n'est-ce pas ? me demande-t-il, sortant cette question de nulle part.

    Mes yeux baissés vers son corps retrouvent le chemin de son visage.

— Pardon ?

— Le combat au corps à corps. Vous maîtrisez l'art des archers, mais n'avez sans doute jamais tenu une épée dans vos mains, explique-t-il en pointant sa torche vers moi.

— Je ne suis pas un soldat.

— Cela ne m'empêchera pas de me méfier comme vous le faites, bien que j'aie au moins la décence de ne pas me montrer aussi désagréable que vous l'êtes. Après tout, vous êtes venue.

    Je suis venue. J'avais envie de venir, inutile de prétendre le contraire. Pourtant, devant lui, je ne trouve pas d'intérêt à cette rencontre. Il ne m'apprendra rien, nous ne pourrons tenir aucune négociation sans connaître l'état de nos réserves respectives et n'avons de toute évidence aucun point commun à part peut-être le fait d'être deux héritiers. L'excitation de mon escapade se dissipant, je réalise que je n'ai aucune raison de me retrouver seule au milieu des bois de Nychta avec une bête aussi imbue de sa personne qu'elle est misogyne.

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