Solstice

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Si vous n'avez pas lu le début, il vaut mieux commencer par le Tome 1, « les Fils du Feu »...

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Bonne lecture !

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Les aboiements déchaînés des chiens résonnaient dans les collines.

Raji courait comme un dératé vers la plaine. Diyako n'arrivait plus à le suivre. Après tant de jours alité, ses jambes flageolantes ne répondaient plus. Nouz le soulevait à moitié, il le traînait et l'encourageait.

À ce rythme, les chasseurs d'hommes seraient bientôt sur eux. Les molosses avaient dû flairer leur piste, en amont du Zagr.

Les Shangaïn avaient cru que les Kâgn étaient repartis vers leurs territoires. Ils s'étaient trompés. La chasse était lancée. Et depuis, les cris se rapprochaient.

Raji avait détalé comme un lapin. Nouz avait empoigné son arc et ses flèches, Diyako son harpon. Ils avaient abandonné le campement derrière eux.

Hors d'haleine, Diyako affalé sur Nouz, ils rejoignirent Raji. Sa main abritait ses yeux du soleil, il scrutait la plaine. La fin des collines marquait les confins de la vallée du Zagr. Au-delà, le delta se ramifiait jusqu'au Tigre ; des bras de rivière se vautraient dans des marais paludéens. Les aboiements dans leur dos ne leur laissaient aucun choix : ils devaient se diriger dans les marécages.

– Là-bas, pointa Raji.

Un troupeau d'éléphants aux foulées silencieuses traversait l'étendue inhabitable. Leurs trompes arrachaient des poignées de végétation tout en marchant, les oreilles se déployaient, à l'écoute du moindre son, les queues se balançaient, les petits serrés contre le ventre de leurs mères, les mâles, défenses au ciel, en imposaient par leur masse et la finesse de leurs mouvements.

– C'est notre chance.

– Tu es fou, on va se faire piétiner, haleta Diyako.

– C'est ça ou les molosses ! répondit Raji. Pas de gestes brusques en vous approchant. Et surtout, chantez !

Déjà, Raji repartait au galop, droit sur le troupeau. Diyako jeta un regard à Nouz. Chanter ? Les aboiements excités dans les collines ne lui laissèrent pas le temps de tergiverser. Nouz l'entraîna, un bras autour de la taille.

– Si on passe de l'autre côté de la colonne d'éléphants avant que les chiens les alertent, on a une possibilité de disparaître.

– Dans les marécages ?

– Les éléphants connaissent leur chemin, ils migrent chaque année.

Mais les chiens vont les exciter. Ils vont charger !

Les aboiements tapent sur les nerfs de Diyako. Le soleil brille sur la plaine. Sur sa rétine, une vision éclot. Des images surgissent. Réalité et hallucination se mélangent. Il court, affalé sur Nouz, paniqué fuyant le danger, pourtant il voit des Creys attaqués par des molosses. Des flèches fendent l'air, une femme agonise. Au-dessus des marécages, des oiseaux s'élèvent, des vautours s'approchent. Diyako bat des cils. Une prémonition ? Des images du passé ? Des Creys qui ont détalé devant les chiens des Kâgn ?

Nouz le portait plus qu'il le soutenait. Diyako aurait voulu fermer les yeux pour ne plus voir ces horreurs, mais baisser les paupières ne chassait pas les visions. Sa tête explosait. Il n'avait pas la force de courir.

Raji avait ralenti. Il chantait une berceuse shangaïn en s'approchant de la colonne de pachydermes en mouvement. Nouz mêla sa voix. Diyako reprenait son souffle, il observait les mastodontes. De magnifiques bêtes. Elles ne faisaient pas de bruit en marchant, malgré leur masse. Des yeux noirs, enfoncés dans du cuir plissé les ignorèrent. Diyako entama la ritournelle avec ses aînés :

– Dors, petite Shangaïn, le ciel veille sur toi.

» Dors petit Shangaïn, les étoiles éclairent ta nuit.

– Maintenant ! murmura Raji.

Ils se glissèrent parmi les éléphants. Ils devaient se hâter pour garder leur allure. Un mâle étêtait un arbre de sa trompe. Il se tourna vers eux, et battit des oreilles agressives.

– Chantez, urgea Raji. Ne le regardez pas.

Il psalmodia :

– Ô, premier-né de la Terre-Mère, je te salue. Ô esprit des plaines, je demande ta protection.

L'éléphant enfourna sa poignée végétale et continua ses mastications. Ils le dépassèrent et poursuivirent en diagonale, mettant le plus de spécimens entre eux et les collines où les chiens n'allaient pas tarder à apparaître.

Dors, petite Shangaïn, le ciel veille sur toi, fredonnait Diyako.

Si on est vivant ce soir, ce sera un miracle !

– Dors, petit Shangaïn, les étoiles éclairent ta nuit.

Derrière eux, une mère et son petit les rattrapaient. Ils se hâtèrent de s'écarter de son chemin. Elle les considéra, mais le chant lui envoya des signaux qui la tranquillisèrent. L'éléphanteau leva sa trompe comme pour les saluer. Le cœur battant à tout rompre, Diyako le berça :

– Passe petit éléphant, ta maman veille sur toi.

Ils les serrèrent de près et s'abritèrent sur leur flanc.

Soudain, une onde d'anxiété parcourut la harde. Les chiens s'approchaient. Des vieux mâles nerveux renâclèrent et se positionnèrent face au danger, oreilles en colère. Un regard par-dessus son épaule, et Diyako vit les silhouettes de leurs poursuivants se détacher sur la colline d'où ils arrivaient. Les Kâgn n'allaient certainement pas attaquer un troupeau d'éléphants, mais une fois celui-ci passé, allaient-ils les suivre ?

Tout l'après-midi, ils restèrent en lisière de la colonne, se faisant peu à peu dépasser par les groupes épars. Ils avaient la gorge sèche à force de chanter. Diyako ne sentait plus ses jambes, sa tête explosait. Nouz serrait les dents, le poids de Diyako de plus en plus lourd sur son épaule. Ils marchaient droit vers la tête du Serpent. Ils zigzaguaient dans la plaine, évitant les sables mouvants grâce à l'instinct de leurs guides et protecteurs surmontés de hérons blancs courts sur pattes. Ils contournèrent un lac où mourait un bras du Zagr. Le soir venu, la colonne ralentit et le troupeau se dispersa par petits groupes.

– Pourquoi se balance-t-elle comme ça ? demanda Diyako en observant une vieille femelle.

– Elle salue ses ancêtres, répondit Raji.

De sa trompe, elle caressait des ossements blanchis qui sortaient de la vase. Diyako s'aperçut que tout le long du lac, des squelettes d'éléphants jonchaient la rive.

– On va dormir, décida Raji. Si les Kâgn nous ont suivis, ils ne vont pas s'attaquer à nous au milieu du troupeau. Idem pour les grands fauves.

Diyako se laissa tomber au sol, fourbu. On risque juste de se faire piétiner pendant notre sommeil.

Des populations d'oiseaux survolaient la prairie. Certains se perchaient sur les dos des éléphants pour se nourrir de leurs vermines. D'autres planaient sur le lac, fendaient les flots, et réapparaissaient, un poisson dans leur bec. Nouz s'attira la colère de couples de hérons trapus en pillant une ponte tardive dans leurs nids. Raji goba ses œufs tel un glouton à bout de forces. Il aurait mangé hérons, poules d'eau et cuissots de pachyderme en entier.

Avec le crépuscule, les moustiques s'abattirent sur leur peau nue. Quelque part dans ces étendues marécageuses, des ricanements de hyènes s'élevèrent. Les éléphants remuèrent nerveusement. Nouz tripota son arc, pour s'assurer qu'il était à portée de main.

Embrasse-moi, exigea Diyako.

On ne verra pas le jour.

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Shangaïn 3. Les Enfants des CitésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant