La Colline des Morts

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Sur cette colline, se tenait autrefois un moulin ou une ferme, entouré de champs de blé blond, qui reflétait la lumière de l'astre. Autour encore se tenait des forêts de sapins, des montagnes enneigées. Aujourd'hui, ce qu'il reste de ce lieu n'est plus que ruine. Les combats et les batailles eurent tant lieu sur cette butte, cette blonde colline - les anciens l'avait nommé ainsi - qu'il ne restait plus rien. De cette bâtisse, les bombes, les fusils et les mitrailles transformèrent chaque brique, chaque poutre à l'état de caillou et coupeaux de bois. Les champs ne sont plus. De la terre labourée, qui pue la mort, qui sent les rats, petits assassins. Le ciel bleu d'origine, aujourd'hui presque noir. Je me souviens de ce temps, où autrefois je jouais sur cette colline avec mes cousines et mon cousin. Nous faisions des galipettes, nous roulions jusqu'en bas de la colline. Nous riions. La plus belle époque de ma vie. Un jour on m'annonça la guerre. Je venais tout juste d'avoir dix-huit ans, je dus m'engager. J'avais survécu. Après un an ou deux, ou peut-être dix ans de guerre je retrouvai ma colline - en tant que soldat. Les généraux avaient décidé que cette colline, MA colline serait le lieu d'assaut, car nos ennemis, mes amis étaient postés pas loin derrière. Je voulus protester, mais on n'entendait pas la voix d'un jeune soldat, si peu gradé. Je fus malgré moi le meurtrier de ce lieu, toute mon enfance. Le soir, je pleurais. Je m'en voulais, car pour moi c'était comme tuer le bonheur, mes amis, mes cousines et mon cousin. Les années passèrent et j'étais toujours là, assassin de mon enfance, le criminel, le traître à la nature qui m'a donné le jour. Des centaines, des milliers soldats tombèrent durant cette bataille qui ne dura pas moins de six ans. Moi, le plus grand meurtrier parmi tous, je survécu. Un jour, aussi brusquement que l'on m'avait annoncé la guerre, on m'annonça l'armistice, la paix. Cette chose que j'avais presque oublié. Elle réapparu dans ma vie. La paix.

Je décidai de ne plus jamais entendre le nom de "guerre" ou de "colline". Toute ma famille était morte pendant la guerre. Ma mère, mon père, mes cousines et mon cousin. Mon chat aussi. Tout ce que j'aimais avait péri sous le feu des bombes, des mitrailles. Une torture atroce me prenait quand je voulais penser à eux, à leurs derniers instants. Ils avaient peur. Peut-être pensaient-ils à moi. Non. Je suis un monstre, un assassin. J'ai tué. Pourquoi penser à un assassin ? Pendant des années j'ai sombré dans la folie. Combien de fois ai-je pensé à finir mes jours, une corde au cou ? Longtemps. Je n'ai de réponse plus précise. Les années passèrent, je me mariais. J'eu des enfants, qui eux même eurent des enfants à leur tour. Je prenais sa petite main, à ma petite fille. Elle ressemble beaucoup à ma mère. Après tant d'années je revins avec cet être enfantin, sur les terres de mon enfance, sur cette colline. Les années avaient retransformé ce paysage. Le ciel avait retrouvé une certaine couleur, presque celle d'origine, un peu grisaille peut-être. Mais la colline était presque comme je l'avais quitté. Mais le soleil redonnait une âme à ce lieu. Je me voyais, enfant avec mes cousines et mon cousin. Comment s'appelaient ils déjà ? Paul, je crois où Pierre peut-être. Juliette et Margot, il me semble. Ou Julie et Marie. Je ne sais plus. Je m'agenouille. Je sens cette nature. Cette terre. Et je pleure, je m'excuse pour tout le mal que j'ai causé. Ma petite fille, Sophie, s'approche de moi et me fait un câlin. Je me redresse. Nous faisons le tour de la butte. Des petites choses blanches dépassent de cette terre battue. Je me penche. Je creuse très légèrement. Ce sont des ossements humains. Des crânes. Je retrouve en creusant des choses qui m'ont appartenu. Mon briquet. Mon beau briquet d'argent, brillant. Splendide cadeau que m'avait fait mon père. J'allumais toujours le cigare de mon supérieur avec. J'ai les larmes aux yeux. Tant d'années à vouloir oublier, les Oubliés. Mais je réalise enfin qu'ils étaient comme moi. Ils ne voulaient pas non plus. Ils sont privés de sépultures. Pourquoi ? Parce qu'ils se sont battus pour rétablir la paix ? Ils y sont parvenus mais ont péri. Ils sont morts et on les a tous oubliés.

Je creuse avec Sophie. Des tombes pour les amis, mes camarades. 

La Colline des MortsWhere stories live. Discover now