Le mime

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Tous les jours il est là, sur la place publique, à imiter les traits des grands clowns comme Chaplin ou Marceau, en y ajoutant sa patte personnelle. C'est l'avenue où les artistes font leur numéro avec fierté, espérant gagner le cœur de leur public. Qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige, il sera là. 

Vêtu de ses vêtements noirs et blancs, il interagit de façon saccadée et fluide à la fois. Ses mouvements sont souples mais il se fige aussitôt. Ses mimiques, ses grimaces, sa gueule sont étudiées avec la plus grande précision. Son sourire est toujours le même, un large sourire sage, dents serrées et alignées comme un collier de perles, les yeux grands ouverts. 

Tous les jours il fait son numéro, récolte quelques pièces dans un chapeau en feutre noir. Depuis des années il occupe cette place. Les gens vieillissent, il garde la même allure. Le visage maquillé de blanc, lavé de toute expression naturelle du visage, les yeux et les lèvres noircis. Il se tient là tous les matins, au garde à vous, et finit tous les soirs par une dernière révérence, remettant son chapeau sur sa tête au moment de se redresser. 

Et depuis le premier jour, quand cette fille là passe, il tente d'attirer son attention sans dire un mot. Mais elle est à chaque fois occupée. Un jour elle écoutait de la musique sur son baladeur, l'autre elle téléphonait. Une fois elle était avec des copines, et malheur, une autre fois elle était au bras d'un homme. Cependant, toujours le mime l'avait suivie du regard, essayant quelques gestes pour capter le regard de cette fille. Le bras d'un homme, le bras d'un autre homme, les mois défilent, les années, toujours d'autres hommes. Parfois ils s'arrêtent en se disputant devant le mime, parfois ils s'arrêtent pour roucouler un peu plus.

Elle aussi, elle vieillit, ou plutôt elle mûrit. Passant du look intello au look gothique,portant des vêtements hippies, des Doc Martins avec sa robe rouge, son Perfecto noir avec son short en jean, pour en revenir au pull à carreaux et à la jupe beige. 

Mais un soir, elle marche seule, regardant autour d'elle. Elle s'arrête proche du mime et attend. Elle patiente, l'impatiente. Regardant sa montre, jetant mille regards au loin, tapotant du pied. Elle porte un long imperméable beige ouvert et une belle robe fleurie. Ses cheveux sont relevés et elle est un peu maquillée. Elle attend son rendez-vous. 

Le mime fait son numéro en la guettant, la voyant perdre son sourire au fil du temps. Quand elle plonge ses mains dans ses poches en tournant les talons, prête à s'en aller, il se précipite chez elle en lui offrant une fleur imaginaire. Elle le regarde intriguée, il mime une nouvelle fois la fleur et pose sa main sur son cœur en lui tendant le présent invisible. Elle sourit en coin, embarrassée et baisse le regard en faisant semblant de prendre la fleur avant d'incliner la tête pour le remercier. 

Le sourire du mime change et cette transition là est importante. Passer du sourire du clown au sourire d'un homme amoureux. Les yeux qui se plissent, créant des petites rides sur ses tempes, son front qui s'allonge, des fossettes qui se creusent, la mâchoire détendue, les joues rebondies, la douceur sur son visage... Un homme qui reprend vie. Cette métamorphose la fascine. 

Le mime lui tend sa main, elle la prend. Il l'emmène jusqu'à son chapeau qu'il ramasse en le vidant, glissant les pièces dans ses poches. Il fait une révérence à son public avant de poser le chapeau sur la tête de la jeune fille, elle rit. Il lui prend le bras et commence à s'en aller avec elle en jouant la comédie. Elle s'amuse en l'imitant et les deux quittent l'avenue en sautillant et en remuant la tête de gauche à droite. 

C'est la dernière fois qu'on vit le mime déguisé en clown. Malgré tout, depuis ce jour, c'est avec cette femme à son bras qu'il se pavane sur l'avenue, fier d'avoir gagné ce cœur là en particulier.


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