Ai-je eu tort ? Aurai-je du, en tant que princesse et digne héritière d'Ilios, renoncer à ma liberté afin de satisfaire le peuple désireux de me voir devenir épouse ? Ce sacrifice aurait-il suffit à les convaincre de mes bons sentiments envers Ilios ? J'en doute. Tous mes efforts n'auraient jamais effacé le fait que Zilia fut ma mère.

Je contemple les plaines d'Ilios à travers la vitre de la calèche, devinant la forêt grâce aux cimes des pins qui percent dans la nuit. L'odeur putride des marais m'indique que nous serons arrivés à destination dans moins d'une heure – la montre gousset que je tiens dans ma main droite me le confirme. Nous arriverons quelques minutes avant l'éblouissement, en signe de paix. Je range la montre gousset dans mon corsage et pince nerveusement la peau de ma main gauche comme à chaque fois que l'angoisse m'assaille. Assise en face de moi, Sofia le remarque et brise le silence oppressant qui s'était installé :

— Il y a dix soldats à tes côtés ainsi qu'une garnison tout entière un peu plus loin et des renforts prêts à te défendre si le son du cor se fait entendre.

Sofia fait erreur. Je ne crains pas pour ma vie, mais bien plus d'échouer dans une tâche qui m'est inconnue. Négocier le prix de céleris au marché de Morasia est une chose, convaincre la bête d'Afthonia de rouvrir le commerce avec Ilios en est une autre. Je ne suis pas faible ni fragile, mais capable de rougir en toute circonstance. Il suffirait d'un faux pas ou d'un malaise dans la conversation pour que mon visage se colore et qu'ainsi ma crédibilité disparaisse – la poudre appliquée en paquet sur ma peau n'y changera rien. Père m'a dit un jour que c'était un héritage de Zilia et il n'en a pas fallu davantage pour que je haïsse d'autant plus cette particularité.

— Je n'ai pas peur de la mort.

Peut-être même serait-elle plus douce que les reproches de père.

— Pourquoi es-tu inquiète alors ?

La question est légitime, mais la réponse est au pluriel et l'heure qu'il nous reste ne suffirait pas à calmer toutes mes inquiétudes. D'un naturel discret, je m'imagine mal dominer la bête d'Afthonia en bafouillant.

— Hier... Freud m'a fait part de ses doutes quant aux réelles motivations du roi d'Afthonia, j'avoue dans un souffle.

— Je croyais que Freud se fichait des enjeux politiques ?

— Le fait qu'il ne s'en mêle pas ne veut pas dire qu'il soit néophyte des sujets touchant la politique des royaumes.

— Et quels sont ses doutes ?

Je pèse le pour et le contre puis finis par décider que la vérité n'aura de toute façon aucun impact sur le déroulement des négociations :

— Il lui paraît invraisemblable qu'Yvris courbe l'échine en faisant le premier pas.

— Il est vrai que c'est une preuve de faiblesse qui ne lui ressemble guère.

Le conseil s'est questionné à ce sujet et je suis persuadée que père a fait de même. La décision d'accepter la rencontre n'a pu être prise à la légère – à moins que la famine soit si présente qu'on se soit retrouvé à sauter sur l'occasion pour nourrir les citoyens ?

A travers la vitre, les arbres se font de plus en plus denses.

— Quel intérêt pourrait-il avoir à agir de la sorte ? je demande à voix haute, sachant pertinemment que Sofia ne détient pas la réponse à ma question.

— Peut-être que les coyotes le savent, ils sont les seuls à chuchoter dans les bois.

— Avec les loups, ou du moins le peu qu'il en reste.

MIRABILISWhere stories live. Discover now