Chapitre 12 - Le grand ménage

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— Ah bon ? C'est les soldes chez Ikea ? Je vais peut-être y aller voir pour me trouver un nouveau canapé-lit ! Le mien ne vaut plus rien ! Pensa-t-il.

Il commença avec ferveur son ménage de printemps en plein hiver.

Il était sur tous les fronts.
Il rangeait, nettoyait, jetait, dépoussiérait, réorganisait...

Tant d'agitation le mit en sueur.

Cela lui donna encore plus le sourire.

Un désir fou le prit au corps dans cette excitation ! Il lui fallait le transcender. Il eut en tête la vision fantasmatique et brumeuse d'une plume fine qui glisse et s'immisce entre les pages blanches immaculées, de mots qui se couchent avec douceur puis qui bougent au rythme cadencé de ses phrases jusqu'à ce que le plaisir jaillisse !

Sa petite voix lui susurra :

—Tu es à la masse ! Tu rebâtis on ne sait quelle chimère ! Il ne faut pas s'extasier, ni s'excuser ! Il faut s'exprimer !!

Il improvisa alors un poème de circonstances qu'il déclama à voix haute, dans son salon :

Plus jamais je ne traine !
Je brise enfin mes chaînes.
Je sors loin de ma cage.
J'ai trouvé le courage.
Je contrôle ma vie.
Mon errance est finie.
Plus jamais je déraille
Ma vie est sur des rails !

Il recomptait sur ses doigts si le métrage était bon. Et de lui même, grâce au rythme, à la prosodie, il tombait juste à chaque fois :

Que des hexasyllabes !  cria-t-il tout seul et tout fort au milieu de son capharnaüm.

Sa vitalité était sans fin. Il était chargé à bloc ! Il avait sublimé son désir avec de la poésie !

Au bout de deux heures de travail acharné, il fit une pause, se recula un peu pour contempler le résultat.
Il était fier de lui.
Son appartement était plus lumineux, plus clair, plus respirable, plus propre, plus accueillant.

C'est quand même mieux si je reçois la jolie brune chez moi ! Pensa-t-il.

Il lui restait à attaquer le plus dur pour lui : sa "bibliothèque".

Il l'appelait comme ça parce que ses huit planches au mur portaient plus de livres qu'elles ne le pouvaient.

Dessus s'empilaient romans, poésies, bandes dessinées, magazines, revues littéraires, mais aussi une plante qui était en train de mourir, une vieille médaille d'un ancien tournoi de billard, et quelques bibelots décoratifs.

Il ne supportait plus tout ça.

Il vida toutes les étagères puis enleva toute la poussière accumulée depuis tant d'années de solitude et de dépression.

Il voulait faire de son lieu de vie un nouveau lieu pour démarrer sa nouvelle vie, stimuler sa création littéraire par des bonnes ondes positives. Il se voyait déjà habiter un Nouvel Éden !

Il redonna pour commencer un peu d'eau à sa plante agonisante, la plaça sous les rayons faiblards du soleil, et lui dit :

— Je vais mieux m'occuper de toi maintenant !

Il rangea ensuite ses livres sur ses étagères de façon organisée et méthodique. Au fur et à mesure il pensait à tous les livres qu'il n'avait pas.

Tiens il me manque les 10 petits Nègres ! Et Moby Dick ! Et je n'ai même pas tous les Stephen King !

Mais il les avait lu tous ces ouvrages, dévorés même à la bibliothèque municipale, la "vraie bibliothèque" ! C'était son temple, son refuge. Il y avait passé tant d'heures. Il y avait emprunté tant de chef d'œuvres sans jamais les payer qu'il en était pour toujours reconnaissant à la ville de lui avoir  donné l'accès libre à cette caverne d'Ali Baba. Sa carte d'étudiant lui permettait cet accès jusqu'à ses 25 ans. Et il redoutait le moment où il n'aurait plus ce passe magique !

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