-Je ne veux pas être mort, soupira le plus âgé des deux hommes. Son épouse lui répondit avec virulence.

-Et pourtant, c'est ce que tu es. Et moi aussi.

-Mais comment ?

-La chute ! Mais enfin, souviens-toi ! L'accrobranche ... Quelle idée stupide !

L'homme sembla se souvenir. Il posa à nouveau la question « où sommes-nous ? » mais sans s'adresser à personne en particulier.

Paulo faillit répondre « Chez moi. Et je veux que vous partiez maintenant ! », Cela le surprit. Il n'avait plus parlé aux apparitions depuis son enfance. Ce fut le jeune homme qui répondit, et le couple sembla le remarquer pour la première fois.

-On n'est pas vraiment ici. Dans l'appartement, je veux dire. On attend je crois, mais on est ailleurs. Lui -il désigna un Paulo au bord de la terreur - peut nous voir parce qu'il est pas comme les autres, alors c'est comme si on était là mais en fait, non.

Paulo eut envie de leur demander s'ils étaient réels. Il eut même l'envie de s'en assurer par lui-même et c'est de là que vint le sentiment de terreur. Il ferma les paupières si fort qu'il en eut mal. Lorsqu'il ouvrit à nouveau les yeux, quelques dizaines de secondes plus tard, les trois intrus avaient disparu. Il était à nouveau seul et, comme à chaque fois, il avait froid.

Lorsqu'à nouveau il eut conscience du film, Paulo l'arrêta et se dirigea vers son saxophone. L'instrument, laissé hors de sa caisse pendant plusieurs jours, était poussiéreux. Absent à lui-même, il l'épousseta et se mit à jouer. Les sons qu'il sortait de son saxophone étaient son repère, son abri et il s'en servait comme d'autres utilisent l'encens et les incantations.

Après peut-être une heure, Paulo n'avait plus la notion du temps, il rangea l'instrument dans sa caisse. Il était apaisé et il avait pris la résolution de se faire soigner pour ce qu'il croyait être une maladie.

Paulo n'en savait encore rien et il ne l'aurait de toute façon pas accepté mais ni la thérapie ni les médicaments ne le libéreraient de ses hallucinations. Ce qu'était Paulo ne s'expliquait pas. Cela devait simplement être accepté, reconnu sous peine de sombrer dans la dépression ou la folie. Dans le cas de Paulo, quelque temps après ces évènements, il y aurait d'abord un épisode de dépression. La folie ne viendrait qu'un peu plus tard, avec l'aide de médicaments non adaptés et souvent mal dosés.

-Bonjour Monsieur.

Paul, qui n'était plus Paulo le fou, s'exprimait avec déférence. Changer de travail faisait partie du changement de cadre conseillé par son psychiatre et sa guérison en dépendait. Il avait mis toutes les chances de son côté, allant jusqu'à emprisonner son improbable chevelure bouclée au bas de sa nuque. Il se reconnaissait à peine ainsi mais il savait qu'il correspondait aux attentes du directeur du centre d'appel.

-Vous venez des espaces verts. Qu'est-ce qui vous mène à la prospection téléphonique ?

-Je pense avoir fait le tour du métier et je souhaite m'intégrer pleinement dans un univers professionnel tourné vers l'avenir.

Paul était fier de lui. Non seulement il connaissait son texte par cœur mais en plus, il le restituait sans la moindre hésitation. Il parvenait même à ignorer la sensation douloureuse d'enfermement qui le prenait toujours dans les lieux clos.

Avec l'aide de son psychiatre, il avait réussi à se persuader que les grands espaces, une fois qu'il aurait retrouvé une vie normale, ne lui manqueraient pas et que la climatisation des bureaux ne lui apparaitrait plus être un artifice inconfortable.

Le recruteur souligna l'absence d'expérience de Paul mais là aussi, le jeune homme avait une réponse de convenance toute prête. Malheureusement, celle-ci lui échappa, remplacée par le bourdonnement. Paul, qui se sentait redevenir Paulo, se retint à temps de libérer sa chevelure et posa les deux mains à plat sur le bureau, aussi loin qu'il le put de tout objet dont il aurait pu se saisir. Il bégayait presque en mentionnant ses grandes capacités d'apprentissage et son envie de se former au métier de téléprospecteur.

Paulo le fouWhere stories live. Discover now