— Je n'aime pas les histoires d'amour, finis-je par dire.

J'allais lui redonner l'exemplaire mais il m'arrêta d'un geste.

— Ce n'est pas qu'un roman d'amour, m'assura-t-il. C'est tellement plus.

Ses yeux ne lâchèrent pas les miens et je ne pus faire autrement que de soupirer en glissant le livre sous mon bras.

— D'accord, cédai-je. Je le lirai.

Adel me sourit, et rien que ça. Mon cœur se contracta mais je le repoussai au fond de ma poitrine, là où je ne l'entendais pas.

— Seulement, ajoutai-je en lui souriant. Je veux que tu me dises pourquoi c'est ton livre préféré. Je t'écouterai m'en parler pendant des heures s'il le faut.

Il y eu un silence durant lequel ma phrase resta en suspend entre nous, le regard d'Adel me fuyant. Alors il me dit doucement :

— Mais je n'ai pas dit que c'était mon préféré.

J'ouvris la bouche pour répondre mais les mots ne sortirent pas. Je fronçai les sourcils ; Adel ne me regardait plus. Je fis un pas vers lui, puis un autre, assez pour me retrouver aussi proche de lui que le soir de notre rencontre, lorsqu'il s'était penché vers moi et que j'avais enflammé nos cigarettes.

— D'accord alors, tu me diras pourquoi tu relis autant ce livre.

Son regard se mélangea de nouveau au mien et il pinça sa lèvre.

— Et comment tu peux le relire sans te lasser de l'histoire.

Mon rire résonna entre nous, mais Adel resta immobile. Son regard était rivé sur mon visage, ses yeux pensifs. Le silence pesait sur nous, et le monde s'arrêta de tourner. Je ne pouvais détacher mon regard de ses yeux d'encres. Ma bouche s'entrouvrit mais tous sons moururent à sa sortie et je fus incapable de dire ou de faire quoi que ce soit. Puis nos regards se rencontrèrent et tout fut comme la première fois. De nouveau ce sentiment étrange qui s'emparait de mon ventre et réchauffait mon corps.

Mais Adel cligna des yeux, comme s'il se réveillait, et je me sentis tirer du même rêve quand il s'éloigna.

Je laissai les secondes passer et ne remarquai qu'à cet instant à quel point mon cœur tressautait rapidement au creux de ma poitrine. J'expirai lentement dans l'espoir de le calmer. La tension qui s'étirait entre nos deux corps palpitait avec lourdeur et je tentai de l'apaiser.

— Un jour alors, dis-je et je me sentis rougir.

Je le regardai, mais je ne vis que ses paupières lourdement reposées sur ses pupilles. Il croisait les bras, le dos entièrement crispé.

Je voulu ajouter quelque chose, n'importe quoi, mais une voix dans mon dos m'en empêcha et la bulle se fissura autour d'Adel et moi. D'une vague brutale, elle explosa et des éclats tranchants comme du verre s'enfoncèrent dans mon coeur.

— Joseph. Depuis tout ce temps.

Cette voix. Sa voix. Elle s'insinua au creux de mon oreille, brûla chaque centimètre de ma peau et à l'instant où elle atteignit mon cœur, celui-ci se fendit.

Et comme un écho surgit du passé, son prénom résonna jusqu'au plus profond de mon âme.

Juliet.

Il y eu un silence durant lequel je fus incapable de respirer ; mon corps me sembla avoir arrêté de fonctionner. Alors je me retournai, et tout me parut s'enchaîner d'une lenteur meurtrière.

D'abord, je croisai son regard. Ses iris brunes, perçantes. Elle me regardait, et je fus projeter en arrière, lorsque je les avais vu pour la dernière fois. J'avais cru ne jamais pouvoir brûler plus que ce jour-là ; je me trompais. Ce n'était plus des flammes qui enserraient mon cœur, il n'était déjà plus qu'un tas de cendres. Puis je vis le sourire mesquin qui ornait son visage pâle, et tout fut pire.

Juliet Juliet Juliet.

Son prénom résonnait sur les parois de mon crâne et achevait de retourner le couteau planté dans mon cœur.

Le bruit sourd d'un livre s'écrasant sur le sol résonna autour de moi. Mes jambes s'activèrent d'elles-mêmes et je quittai la bibliothèque avant même de réaliser que j'étais en train de fuir. Le visage de la fille flottait dans mon esprit et je ne pus l'en ôter. Il tournait encore et encore alors que mes pas rapides me conduisait vers l'extérieur.

Je me répétai ce n'est pas réel, ce n'est pas réel, ce n'est pas ré—

C'est alors qu'il m'appela. Adel, de sa voix vibrante. J'accélérai immédiatement dans l'espoir de le décourager ; je voulais être seul. Il n'eut pas l'air de comprendre, pourtant, et se précipita face à moi, me bloquant le passage. Je tentai de l'éviter, mais sa main se pressa sur mon bras et je me sentis tressaillir.

— Que se passe-t-il ? fut la première chose qu'il me demanda.

— Rien, fut tout ce que j'étais capable de dire.

Et j'essayai de me libérer de la poigne qu'il exerçait sur mon bras mais il ne me lâcha pas.

— Qui est-elle ? Cette fille.

Un poids me compressa la gorge et j'eus l'impression de m'étouffer.

— Personne, réussis-je à articuler.

Je me libérai d'Adel et me dirigeai vers la sortie. Il ne me laissa pas m'échapper et me suivis de près. Pour la première fois, je me dis que c'était au tour de l'ombre de me chasser.

Lorsque l'air pénétra mes poumons, je sentis mon cœur s'apaiser. Je pris une profonde inspiration avant de planter mon regard dans celui d'Adel. Je l'observai le temps de quelques secondes, lorsque soudain ce n'était plus son visage que je voyais face à moi mais celui d'une jeune fille. Mon cœur frissonna. Je m'éloignai de plusieurs pas et ses yeux restèrent fixés sur moi.

— Je ne peux pas. S'il te plaît.

Les mots m'échappèrent et se bousculèrent sur mes lèvres. Je l'implorai d'un regard de me laisser seul. Il entrouvrit la bouche pour protester mais je le coupai avec les derniers mots qui réussirent à franchir ma barrière.

— Je t'ai laissé fuir à chaque fois, Adel. Laisse-moi disparaître à mon tour.

Et je vis dans son regard l'éclair passer, alors je me détournai et m'enfuis.

Mon esprit n'arrivait plus à réfléchir. Mes pensées s'emmêlaient dans un tourbillon de souvenirs, de questions, et d'hypothèses, et tout ce qui en ressortit fut les perles salées qui glissèrent sur mes joues. Son prénom, son regard encré dans le mien, son sourire et je me demandais comment tout cela était-il possible ?

Juliet, à Paris. Le sourire moqueur qu'elle m'avait adressé comme si elle savait depuis longtemps où elle me trouverait, et à quel point la blessure qu'elle avait laissé dans mon cœur était fragile. Elle savait qu'à l'instant même où je l'apercevrais, il exploserait aussi violemment qu'il l'avait fait ce jour-là. Je me demandais si c'était ce qu'elle voulait ; observer l'effondrement qu'elle avait créé.

Et la seule question qui restait était pourquoi moi ?

Son jeu était placé. Ses pions attendaient, l'air menaçant, qu'elle n'achève son coup et ne réduise tout au néant. Elle jouait depuis toujours, l'esprit minutieux et le cœur absent. Elle savait quels pions jouer face à moi. Elle l'avait toujours su, à l'instant où le premier coup avait été placé. Je n'avais même pas eu conscience d'avancer sur ce plateau.

Elle jouait avec moi, et depuis l'instant où la partie avait été lancé, le perdant avait été proclamé.

Je pouvais presque l'entendre, échec et mat.



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⏰ Ostatnio Aktualizowane: Dec 13, 2023 ⏰

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