the same face everyday, the sirens calling away

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Une.

Deux.

Trois.

Le robinet était mal fermé, Thomas le savait. Mais le bruit des gouttes frappant l'eau de son bain remplissait le vide de son esprit, ou du moins il cherchait à le vider, à remplacer ses idées par des gouttes d'eau. Ses jambes dépassaient de la baignoire qui n'était pas la sienne. Il se trouvait chez un ami, il savait que bientôt, il devrait se lever et sortir, vider l'eau qui abritait ses interrogations. Pour l'instant, il voulait surtout se perdre. Il ferma les yeux, glissa doucement sous l'eau, retenant sa respiration...

Une vision lui vint. La même, depuis des mois. C'était un visage long, au teint blanc, barbu et blond. De longs cheveux étaient attachés à l'arrière de son crâne et ses yeux bruns semblaient concentrés sur quelque chose. Il était beau. Il le vit sortir un harmonica, le porter à sa bouche...

L'air lui manqua et il sortit de l'eau en sursaut, projetant des trombes sur le carrelage de la salle de bain. Son cœur battait fort. Il n'avait plus vraiment peur de ça, mais les premières fois l'avaient particulièrement rendu confus. Pourquoi voyait-il si clairement cet homme ? C'était toujours le même, depuis des mois. Thomas aurait pu le reconnaître même au toucher tant il avait appris ses traits. Il passa ses mains sur son visage, les laissant sur son crâne, le regard baissé... Puis il jura et sortit enfin de la baignoire, nettoyant le bazar qu'il avait mis en projetant l'eau ainsi et se rhabillant ensuite. En passant devant le miroir, il s'observa, réarrangea sa barbe, ajusta ses vêtements... Il était prêt pour son entretien d'embauche.


L'anxiété grimpa en Thomas alors qu'il se rendait sur les lieux de son entretien : la Redbox. Il se stoppa un peu plus loin sur le trottoir en voyant tout le monde se tenant déjà devant, les détaillant de loin. Il contrôla sa panique, essuyant ses mains moites, secouant ses membres engourdis, puis approcha. Il se stoppa de nouveau à quelques mètres du groupe de vingt-neuf hommes, les yeux rivés sur un seul visage, identique à celui qui mobilisait tant ses pensées ces derniers temps. Il n'osa pas l'aborder, alors qu'il le fixait intensément sans que celui-ci ne le remarque. C'était comme s'il était de retour au fond de la baignoire, la tête sous l'eau, suffoquant, les paupières brûlantes de son image. Il était assez proche de lui pour entendre sa voix, elle déborda de ses oreilles. Il n'écoutait que lui, qui parlait à quelqu'un d'autre d'un voyage en Thaïlande.

Finalement, l'homme le remarqua. Il ne parut pas décontenancé, fixant Thomas en retour avec un petit sourire, plongeant son regard dans le sien sans bouger. Ils étaient là, tous les deux, à agir étrangement. Thomas comprit alors que l'homme vivait la même chose que lui.

"Yvan."

Une poignée de main.

"Thomas."

Ils se sourirent, un peu timides, un peu sûrs d'eux.


Les deux hommes, avec les vingt-huit autres candidats, passèrent la journée à la Redbox, parfois côte-à-côte, parfois éloignés, se cherchant alors du regard comme des aimants. Thomas se sentait comme un marin attiré par sa sirène, comme quelques heures auparavant dans son bain. Il commençait à se demander si Yvan n'exerçait pas une force surnaturelle sur lui et ses sentiments... mais ça ne lui déplaisait pas.

the same face everyday, the sirens calling awayWhere stories live. Discover now