Vivant

31 9 4
                                    

   Comment est-ce que je me sens ? Engourdi et oppressé. Je suis comme réveillé après une longue torpeur. Mes sens sont vacillants. Je tente de remuer : en vain. Je découvre en tâtonnant que je suis entouré de parois uniformes qui m'encerclent de toutes parts. Je ne peux que, et encore, avec beaucoup de difficultés, tourner sur moi même.

Essoufflés par mes gesticulations, je m'arrête et attends. Je perçois alors des sons venus de l'extérieur. Des cris au loin assez mélodieux, un craquement. Des déplacement d'air. D'autres cris. Comment est-ce là-bas ? Je suis curieux. Mais par moyen puis-je parvenir à sortir de cet espace clos et sans issue ? Pris d'une inspiration soudaine, je frappe la paroi de mon crâne. Je suis un peu sonné, mais cela me permet de me rendre compte que la paroi est assez fine. En désespoir de cause, je reprends mon manège et martèle ce mur qui m'emprisonne.

Je découvre avec stupéfaction que je possède un petit appendice dur et pointu positionné juste sous mes yeux, ceux-ci inutiles et fermés pour le moment. Agréablement surpris, j'abats la pointe sur la cloison fragilisée. Je la transperce instantanément. Je me retrouve inondé par toutes sortes d'effluves. Certaines douces et délicieuses, d'autres piquantes et acides, toutes surprenantes. Je me retire immédiatement à l'abri des murs fissurés, submergé. Mais les odeurs s'incrustent bientôt dans ma cachette neutre. Finalement habitué à toutes ces nouvelles senteurs et la curiosité reprenant le dessus, j'agrandis le trou de mon appendice pointu pour sortir au grand air.

Enfin la prison explose en milles petits éclats, me recouvrant entièrement. Je m'ébroue et suis bien vite submergé à nouveau par les sensations inconnues, bien que je sois toujours aveugle. Le vent s'engouffre dans les minuscules poils qui parsèment mon corps. J'ai froid. Pire, j'ai faim. Mon instinct prend le contrôle. Je déploie mon cou et remarque que je possède sur mes flancs deux replis de peau que je me mets à agiter de bas en haut. J'ouvre une large bouche, un pépiement nait dans ma gorge et retentit dans mes oreilles. Je continue ainsi et sens bientôt un déplacement d'air flagrant accompagné d'une odeur semblable à la mienne. Un cliquetis retentit près de moi au moment où les mouvements d'air cessent. Je piaille de plus belle. Me parviennent alors des effluves alléchantes provenant de mon semblable. Celui-ci s'approche et sans crier gare, dépose dans ma gorge quelque chose de long et visqueux. Je le gobe sans discuter. Cela a pour effet de remplir partiellement mon minuscule estomac. J'en redemande. Mon serveur lance un cri et repart dans un froissement d'air. 

J'aime ce sentiment d'être désiré et important. Vivant, dirais-je.

𝓐 𝓵𝓪 𝓭𝒆́𝓬𝓸𝓾𝓿𝒆𝓻𝓽𝒆 𝓭𝒆 𝓵𝓪 𝓥𝓘𝓔Where stories live. Discover now