Le sculpteur de faisans de bois

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Au abords de la fontaine du griffon, qui a rendu célèbre la place Valöryne, au coeur de la ville de Les Idylles, on trouve encore de nos jours de petits copeaux de bois, balayés par le vent au cours de la journée et qui retrouvent leur place lorsque la nuit tombe, et que le sculpteur reprends sa place sous le calme de la nuit.

Mamirole n'a pas toujours été sculpteur, et il n'a pas toujours résidé dans la partie Est de la Loghria, en Ermandie. Il a passé une grande partie de sa vie en Arrance, la terre des faisans, dans le domaine du père Lavaux, son frère viticulteur. Ce dernier est aujourd'hui un homme aigri, dit-on. Mais ce que l'on raconte moins, c'est l'histoire de son frère, et la malédiction qui a frappé Mamirole, alors qu'il était encore jeune.

Il faut tout d'abord savoir que la région d'Arrance est réputé pour être une région festive. La bonne humeur est la seconde nature de ses habitants, qui mettent un point d'honneur à ce que, résidence de bons-vivants, la région demeure un lieu où il fait bon-vivre. C'est sans doute ce qui explique le si grand succès du domaine viticole du père Lavaux. Toujours est-il que les habitants de cette partie du pays ne perdent jamais une occasion de se retrouver et de célébrer, pour un rien ou pour un quelque chose, en grandes assemblées, pour un oui ou pour un non. Les gens aiment se retrouver et discuter, boire, manger, rire, voire se disputer, et, lors des soirées les plus arrosées, se mesurer les uns aux autres, dans un respect mutuel qui n'est troublé que par les excès éthyliques de quelques uns.

Mamirole a longtemps évolué dans cette vie comme un poisson dans l'eau, comme un faisan en Arrance. Il tenait une taverne, dans laquelle il écoulait le vin de son frère, ventant ses mérites. Mais si la vie de certains est faite de lignes droites constellées de quelques sorties de route occasionnelles et tolérables, le destin d'un certain nombre de personnes est amené à s'entremêler avec des rencontres fortuites mais fortement retentissantes.

Mamirole a fait partie de cette deuxième catégorie.

Dans l'âge des pas de danse, des nuit éveillées rompues par la chute des étoiles et des émois qui font pétiller les yeux et se serrer le coeur, Mamirole fut emporté. À la table de la taverne s'installa un jour le Dieu menteur, celui qui tords les mots, et avec eux la vérité, puis l'âme. Sous les traits humains d'Elcmar, et alors que Mamirole louait les bienfaits du vin du Père Lavaux, le frère de la protectrice Dana-Sinann, le menteur posa les mots qui s'apprêtaient à sceller le destin du bientôt discret sculpteur :

— Si ton vin est si bon, ne crains tu pas qu'un de tes concitoyens, rendu jaloux par ta gouaille, tente un jour de te dérober tes richesses et ta renommée ?

Mamirole ne répondit rien. La question n'attendait aucune réponse. Elle avait pour seul but d'insinuer dans l'esprit du tavernier l'idée néfaste et la menace illusoire.

Au fil des ans, il sentit se glisser en lui un malaise qu'aucun de ses homologues n'avait jamais connu. La présence des autres lui devenait désagréable, et bientôt, il ne put plus supporter que la compagnie de son frère. Mais les visites incessantes et les allées et venues des employés du domaine, la vue et le bruit des villageois qui festoyaient dans le lointain finirent par complètement désespérer Mamirole, qui se replia davantage.

Et Mamirole souffrait doublement. D'abord, parce que la présence de tout autre ravivait en lui les paroles d'Elcmar, lui causait des peurs irraisonnées, des sueurs froides et des idées terribles lui traversaient la tête. Et puis, lorsqu'il était seul, Mamirole se remémorait sa vie d'avant, alors qu'il entendait au dehors les rires joyeux de ses anciens amis. En lui-même, il nomma son affection le « mal du soliste ». Une année, il quitta complètement le village pour s'installer dans une petite cabane dans la forêt voisine. La mélancolie s'emparât de lui avec force, mais il ne pouvait se résoudre à retourner dans son village. Parfois, il entendait des voix qui s'élevaient du chemin tout proche, qui le tétanisaient et suffisaient à le convaincre de ne jamais retourner auprès des autres. Progressivement, il s'éloignât de plus en plus, jusqu'à quitter l'Arrance et la proximité de son village, la source de sa mélancolie.

Mamirole n'avait jamais su que sous les traits d'Elcmar, il vavait cotoyé Ogma, le Dieu menteur. Mais le temps faisant, il finit par penser qu'il avait été victime d'une malédiction, qu'un sortilège avait dû l'atteindre et avait maudit son village, où il avait commencé à éprouver son mal. Il se résolut alors à ne jamais y retourner, mais jamais il ne put vraiment l'oublier.

Le temps était long dans sa solitude, et mauvais chasseur, Mamirole se mit à cultiver l'art de la sculpture, accompagné de son petit couteau. Quotidiennement, Mamirole grattait branches et écorces, pour en extraire de petits faisans de bois qu'il semait partout où il allait. L'activité l'apaisait, et muni du bois et de son outil, il parvenait à sortir de chez lui, une fois la nuit tombée. Alors, les voix au loin et les signes de vies se faisaient moins pressants.

De cette manière il parcourut le pays, voguant de cachettes en tanières, vagabond dans la nuit, lorsque les autres âmes sont endormies. Il arrivât bientôt à Les Idylles, où il fut subjugué lorsqu'il se tint en haut de la place Valöryne. Il percevait en cet endroit quelque chose qui l'apaisait. Alors, chaque nuit, il se rendait sur la place pour sculpter, alors qu'au lever du jour, il fuyait la lumière car avec elle, reviennent les autres.

Peu de personnes sont aujourd'hui capables de dire où habite Mamirole. Certains en parlent même comme d'une légende, car en réalité, si l'on connaît la réputation du sculpteur de petits faisans de bois, personne ne l'a jamais vraiment rencontré. En effet, si elle est très visitée de jour, la place est en fait peu occupée la nuit. Sa proximité avec le quartier Sakartrien a tendance à faire peur aux honnêtes gens, qui craignent d'y croiser un Homme de Sakart, alors que les Sakartrien n'y mettent pas les pieds non plus, car le place ne compte aucun débit de boisson. 

Contes des BahariWhere stories live. Discover now