§ L'Appel des Ténèbres §

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Après des nuits d'errance, je parvins enfin à ma nouvelle demeure, Stanciu, sur la montagne Cetatea Cerului, perdue au milieu de nulle part. Le notaire avait longtemps cherché un parent pour clore cet héritage. Apparemment, j'étais le seul encore en vie, un euphémisme lorsque l'on connaissait ma véritable nature.

Le vieux portail en fer forgé se dressa sinistrement devant moi, les armoiries de ma famille au centre ne laissant aucun doute. Les lignes et les ornements autrefois majestueux étaient désormais biscornus et évoquaient des serpents venimeux prêts à frapper tout visiteur. Je l'ouvris dans un grincement tonitruant, perturbant le repos des oiseaux qui prirent leur envol.

Je pénétrai dans le jardin, que même la lueur pâle de la lune semblait éviter à travers les branches tordues des arbres, plongeant ainsi ce lieu dans l'obscurité. Les plantes, qui autrefois dansaient avec la vie, étaient maintenant flétries et fanées, leurs tiges se courbaient dans une agonie éternelle, sans doute similaire à la mienne. Des ronces sinueuses rampaient le long des murs de pierre, telles des griffes affamées cherchant à saisir tous ceux qui osaient s'aventurer dans son royaume. Une atmosphère de désespoir imprégnait l'air, comme si chaque parcelle était possédée par une sombre présence. Des murmures inquiétants flottaient dans la brise nocturne, tandis que des ombres se mouvaient sur les murs de la vieille maison.

Le vieux manoir à l'architecture jadis grandiose était marqué par les ravages du temps. Le toit en ardoise noire était percé par endroits et des lambeaux de tuiles jonchaient le sol. Des gargouilles gothiques aux quatre coins repoussaient les indiscrets du bon vieux temps ; maintenant, elles étaient grotesques. Les façades de pierre grise étaient couvertes de mousse et de lierre grimpants, tandis que les fenêtres voilées par des rideaux déchirés donnaient une aura de mélancolie. Des corbeaux croassèrent depuis les sombres hauteurs des charpentes.

Je franchis la porte délabrée et fus accueilli par une odeur de renfermé et de poussière. Je déposai mon doigt entre mon arc de cupidon et mes narines pour ne pas éternuer. Dans la pénombre, je discernai un grand escalier en bois s'élevant jusqu'au dernier étage, ses marches abîmées témoignant des innombrables pas qui les avaient foulées au fil des ans. Des tableaux lugubres ornaient les murs, leurs yeux regardaient fixement les visiteurs avec une lueur vide et sans vie. Le sol de planches en bois usées craquait à chacun de mes déplacements. Des tapis sans couleur semblaient n'avoir jamais été nettoyés depuis des siècles. Des meubles du dix-septième siècle étaient disposés çà et là, certains renversés ou brisés. Les pièces étaient plongées dans la noirceur, seuls quelques rayons timides de lumière traversaient les fenêtres crasseuses.

Je montai à l'étage, le couloir sombre s'étendant sur plusieurs mètres de distance, les murs tapissés de papier peint déchiré. Surpris par une lumière sous une des portes, je me dirigeai vers celle-ci. Une chambre luxueuse se dévoila à moi, un vaste espace orné de riches tapisseries florales et de parquets polis, des lustres dorés suspendus au plafond, dont leurs bougies étaient toutes allumées. Un lit à baldaquin trônait au centre de la pièce, drapé de soieries rouge vif brodées et de dentelle délicate. Les oreillers étaient rebondissants et le duvet moelleux, invitant à la détente dans un confort digne de la noblesse de l'époque. Des meubles Louis XIV en bois de hêtre apportaient une touche de raffinement supplémentaire. Une coiffeuse en bois rose était surmontée d'un miroir ovale encadré d'or. Des rideaux de velours lourd encadraient les fenêtres à guillotine, filtrant la lumière pour créer une ambiance feutrée et intime. Au sol, un tapis persan finement tissé ajoutait une touche de chaleur et de confort, ses motifs complexes capturant l'essence de l'artisanat de l'époque. Dans un coin de la chambre, un fauteuil rembourré invitait à la lecture ou à la contemplation, son dossier haut et ses accoudoirs sculptés offraient un soutien confortable pour se détendre après une journée bien remplie.

À cet instant, je ne cherchais pas à comprendre pourquoi cette chambre respirait la vie, alors que toute la demeure se mourait. À cent cinquante ans, j'avais vu bien des choses inexplicables : morts vivants, loup-garous, sorcières et fantômes. Mais tout cela ne me faisait pas peur ; seule l'éternité me terrifiait. Bientôt, les premiers rayons du soleil pointeront leur bout de nez. Je me dévêtis avec une étrange sensation d'être observé, mes poils se dressant sur mes bras. Je soupirai d'amusement et d'une légère angoisse. En me couchant dans ce lit, j'espérai pouvoir trouver le repos en vue de la charge de travail qui m'attendait demain.

Je me réveillai en sentant un souffle glacial sur mon visage, et lorsque j'ouvris les yeux ; rien. Je me retournai pour prolonger ma nuit. Quelques heures plus tard, des murmures hantèrent mes oreilles. Je me relevai d'un coup et scrutai la pièce ; personne. Cependant, la sensation d'être fixé devint omniprésente.

— Il y a quelqu'un ?

Le silence régnait en maître ici, seuls quelques corbeaux répondirent, dérangés par mon hurlement. Ma perception me jouait des tours. Alors que je me préparais à me rendormir, j'entendis la porte s'ouvrir doucement. Je me retournai et aperçus une silhouette sombre dans l'embrasure de la porte. Elle se tint là, silencieuse et menaçante, avant de disparaître dans les ténèbres.

Une présence oppressante envahit la chambre. Soudain, un vase posé sur la table de chevet se mit à trembler violemment avant de se renverser, répandant son contenu sur le sol. Je sursautai, le cœur battant la chamade. Des bruits de pas résonnèrent dans le couloir, comme si quelqu'un se promenait dans la maison. Je me précipitai vers la porte, l'ouvris brusquement, mais le couloir était plongé dans l'obscurité. Le silence était assourdissant, mais je fus persuadé que je n'étais pas seul.

Attiré par une étrange lumière, je me dirigeai vers le miroir ancien de la coiffeuse. Mon reflet me regardait avec un sourire maléfique, ses yeux brillaient d'une lueur inquiétante. Je reculai brusquement, terrifié par l'image déformée de moi-même. Le miroir se craquela soudain, et une multitude de mains fantomatiques s'en échappèrent, cherchant à me saisir.

Je doutai de mes sens, épuisé. Étais-je vraiment éveillé ? N'était-ce pas un cauchemar dont je ne parvenais pas à me réveiller ? Les murmures devinrent de plus en plus insistants, les ombres dansant sur les murs, se transformant en formes menaçantes. Je perdais la tête.

L'envie de fuir me submergea, mais je fus comme paralysé par une force invisible. Les murs se rapprochèrent, le plafond s'abaissa, écrasant ma poitrine. Je cherchai une issue, mais toutes les portes et fenêtres étaient verrouillées. J'étais pris au piège dans cette demeure maudite, condamné à y vivre une éternité de terreur.

Au fond de la pièce, je distinguai une forme sombre qui se dessinait. Je la reconnus immédiatement. C'était moi, mais avant ma transformation en créature de la nuit, jeune et insouciant. La vision de ma mort me frappa de plein fouet. Je compris alors que cet endroit n'était pas seulement hanté par des spectres, mais aussi par mes propres démons.

Je repris conscience avec des cris résonnant dans le couloir, des pleurs plaintifs provenant des pièces voisines, le vent hurlant contre les fenêtres comme s'il voulait s'introduire dans la maison. Chaque bruit amplifiait ma gêne, me plongeant dans un état d'incertitude que je n'appréciais pas. Qui était cette présence hantant la maison ? Que voulait-elle ? Étais-je condamné à vivre ça toutes les nuits pour l'éternité ?

Je me précipitai vers la porte, déterminé à fuir cette demeure infernale. Mais avant de franchir le seuil de la chambre, une main glacée se posa sur mon épaule. Je me retournai lentement, et tombai face à face avec un beau jeune homme.

Etreintes éternellesWhere stories live. Discover now