CHAPITRE UN

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     IL EST TARD lorsque que je m'engage dans la rue sombre et déserte, comme à chaque fois j'ai mon coeur qui se serre, c'est l'effet de la peur, ce sentiment étrange qui me fait tendre l'oreille et qui décuple mes sens. Chaque bruit me fait sursauter, chaque ombre me fait trembler. J'ai peur que ce soit eux, les rafleurs. Rien que de penser à leur surnom j'ai une boule au ventre. J'aimerais tant que tout s'arrête. Mais je n'ai pas le choix, je dois le faire, pour lui, pour elle. Je ne peux pas abandonner, j'y suis obligé ! Encore deux pâtés de maison et j'y serais. J'accélère le pas, mon coeur martelant ma cage thoracique, il est bien plus de minuit et je suis encore dehors alors que le couvre feu à déjà été donné, si par mégarde on me trouvait dehors, ce serait la mort assurée, ou du moins la prison pour mineurs. Je serais bientôt majeur, dans un peu plus de trois mois, mais je ne m'en soucis guère, le anniversaires, on ne les fête pas. Qui dit pas d'anniversaire dit pas de cadeaux. Ce n'est pas qu'on ne veut pas les fêter, c'est qu'on ne peut pas, nous n'en avons pas les moyens, après tout nous sommes de la classe inférieure, enfin plutôt inexistante. J'aimerai qu'une année mon frère ait un cadeau, un gâteau avec des bougies dessus, mais on ne va pas se mentir, c'est impossible.

     Je suis enfin arrivée devant la porte rouge au vernis écaillé, il y a bien longtemps que l'on a renoncé à une futilité pareille que de repeindre la porte d'entrée. Je fouille dans la poche arrière de mon jean et en extirpe un trousseau de clé, j'insère la plus grosse dans la serrure et je pousse la porte qui grince. Tout le monde dort, ça ne m'étonne pas, ils ne savent pas que je suis dehors, sinon maman m'aurait déjà engueulé. Je regagne la chambre de mon frère sur la pointe des pieds, notre chambre commune. Heureusement que je m'entends bien avec ce petit garnement de huit ans, sinon je n'aurais pas supporté de tout partager avec lui ! Mon ventre gargouille, comme d'habitude, mais ce n'est pas grave, tant que le sien est plein. Je le regarde dormir et remonte la couverture sur ses épaules. Il est en sécurité, il n'aura rien à risquer, les risques ce sont moi qui les prend. Ma mère n'en prend pas non plus, elle doit s'occuper de Ben. Mon père ? Mort il y a bientôt cinq ans, pour avoir fait ce que je fais chaque soir. Si ma mère l'apprenait elle aurait déjà fait une syncope ! Mais bon, ce n'est pas avec son maigre salaire de femme à tout faire que l'on va nourrir nos trois ventres vides.

     Les fesses sur le bord du lit, je défais mes lacets et retire mes bottes avant de me changer et d'enfiler mon pyjama. Je me faufile entre le matelas fin et la couverture miteuse, près de mon frère. Les yeux rivés au plafond je me demande comme chaque soir comment auraient été nos vies si nous étions riches. Trêve de rêveries, nous ne le sommes pas, il faut que je reste concentré, un faux pas et c'est la prison ou la mort. J'essaye en vain de m'endormir, mais rien n'y fait, je n'ai pas l'esprit tranquille et ce depuis que j'ai compris ce qu'il se passait, ce dont mes parents ont essayé de me protéger. De la réalité de notre pays. D'ailleurs nous n'avons aucune information en ce qui concerne le reste du monde, tout est bloqué, tout est contrôlé. La propagande fait rage, la censure aussi. Tout est calculé pour nous faire rester cloîtré. Les frontières sont ardemment surveillées, seule la famille royale et l'aristocratie ainsi que les gens qui peuvent se le permettre peuvent sortir du pays. De toute façon ça m'importe peu, le reste du monde ne sert à rien, sinon ils seraient déjà venus nous sauver, nous libérer de leur emprise malsaine. Ils auraient déjà arrêté le massacre qui sévit et ce stupide jeu de chasse. C'est clair, on ne peut pas compter sur les étrangers pour nous sauver, on ne peut compter que sur nous même. Je réfléchis beaucoup trop le soir alors que le sommeil est précieux, mais je ne peux m'en empêcher, j'ai l'impression que mes pensées c'est tout ce qu'il me reste, c'est tout ce qu'ils ne peuvent pas diriger, contrôler. Bien sûr ce qui est dans ma tête reste dans ma tête, je ne pourrais pas avoir une discussion avec ma mère ou mon frère a propos de ça, c'est trop de risques. Si par malheur on nous entendait critiquer le système mis en place, c'est la mort assurée, peu importe notre âge on serait exécutés sur la place publique pour servir d'exemple aux autres. C'est déjà arrivé par le passé et je ne veux pas avoir à subir ça. Je prends déjà trop de risques pour en prendre d'autres inutiles !

Death GameWhere stories live. Discover now