Nous nous sommes mis d'accord pour l'obtention de ta garde afin que tu grandisses dans de bonnes conditions, entouré d'une vraie famille et non de la maigre vie que j'avais à t'offrir.

J'abdique. Il m'est impossible de maintenir l'âpreté de son contenu.

Cette femme ne fait qu'égratigner l'honneur de Styles avec son langage bien trop bas. Elle explique son geste sans confusion, mais qui pourrait se détourner de son enfant ? Avait-elle un tant soit peu d'humanité ? C'est un acte abject !

Styles, voyant qu'il m'est très pénible de continuer, m'arrache la lettre des mains. Son regard parcourt la feuille tachée d'encre. Pas de cette façon dont on a l'impression de s'envoler en lisant un roman, mais de sentir notre corps se détruire à chaque mot retraçant notre identité.

Comment trouve-t-il encore le courage d'enchainer même dans un murmure ?

Comment deux ennemies jurées peuvent-elles devenir les meilleures amies du monde?

J'ai obtenu un droit de visite, et ta mère adoptive n'a jamais refusé que je vienne te rendre visite hors ces heures fixées par le tribunal. C'est ainsi que notre complicité s'est formée... autour de toi.

Au fond de cette boîte, tu trouveras ton acte de naissance ainsi que ton bracelet d'identification du service maternité. La seule chose qui me permettait de conserver une infime partie de toi sans être loin de moi.

Sur ce lâche aveu, je peux quitter cette terre, apaisée de ce silence trop longtemps gardé. Peut-être pas au paradis, mais loin du cœur lourd qui me pesait depuis toutes ces années. Loin du mensonge que je viens de te dévoiler, mais sache que, jamais nous n'avions voulu te faire souffrir. C'est pour cela que nous avons conservé le secret... Pour te préserver. Tu as tous les droits de me haïr à présent, mais entends bien que je t'aime, mon fils. Je t'ai aimé dès l'instant où je t'ai serré dans mes bras...

Adèle. Ta maman, si tu le veux bien.

L'armoire tombe.

L'étagère tombe.

La table tombe.

Mon cœur tombe...

— Depuis mon enfance, j'avais mon rituel dans cette maison ! J'en avais fait mon refuge, mon exutoire ! Mon avenir était tout tracé dès mon adolescence, et voilà que toute ma vie, j'ai appelé une femme, maman, qui n'était pas la mienne ! Pourquoi Adèle ? Pourquoi... ?

Il ne se rend pas compte de l'aubaine d'avoir été élevé par des parents qui lui ont donné tout leur amour. Il a été chéri comme un fils par une femme de cœur dont le mari a commis un adultère. Tout le monde n'en a pas la chance...

— Mais c'est quoi cette merde ? Pourquoi tout me tombe d'un coup, comme ça, sur la gueule ?

— Calme-toi, Styles.

Ma main rebrousse chemin face à la rage dans son regard.

Reviens-moi.

— Que je me calme ? Ils viennent de condamner un innocent, All ! À croire que je ne compte pour rien sur cette putain de planète !

Pas besoin de choisir les mots, je les exprime sans superflu.

— Bien sûr que tu comptes pour quelqu'un ! Pour eux, tu comptes ! Pour moi, tu comptes aussi ! Beaucoup...

Il semble trop penser du haut de son esprit en découvrant cette vérité qui n'en est plus une depuis longtemps. Mais après réflexion, Adèle lui a menti pour le protéger, parce qu'elle avait peur de le perdre en lui apprenant son histoire. Ce n'est pas comme si, dans un sens, il n'avait pas connu sa vraie maman. Il n'est pas parti vivre chez des étrangers. Ou dans la rue.

— Casse-toi, All...

Quoi?

— Dégage, j'en ai assez de tes grands mots qui ne servent à rien. Ton discours, ton bon caractère, j'en ai ma claque... Va filer une soupe à tes clodos en les gâtant avec tes belles formules, mais barre-toi d'ici, j'ai besoin d'être seul.

— Longtemps, j'ai rêvé d'avoir un heureux destin, mais il s'est toujours montré méchant, comme toi à cet instant. Mon ambition, mon bon cœur ne m'ont jamais rien apporté. Je suis resté dans l'incertitude du lendemain, mais ma passion à venir en aide à mon prochain a facilité cette...

— Beaucoup de paroles, All.

— Oui, beaucoup de paroles, Styles. C'est ce qu'on appelle parler, c'est exprimer ses pensées. C'est une manière de frapper l'air de notre haine, mais s'en prendre à de pauvres innocents est pitoyable. Être capable d'une telle correction pour extraire sa colère est d'une bassesse que je ne me disputerai pas avec toi, tu n'en vaux même pas la peine.

Styles réfléchit à la réalité, aux problèmes sans en comprendre aucun. Une énigme insoluble. Une exactitude peinte avec un prisme trompeur.

— J'aurais préféré que tu m'insultes, que tu me détestes ou que tu partes sans jamais te retourner.

— À quoi cela servirait de m'éloigner de toi ? Tu n'aurais pas pu échapper à la vérité, Styles. L'existence est cruelle, sordide. Elle choque, mais parfois, elle te laisse aussi entrevoir ce rai de lumière qui t'écarte des ténèbres.

— As-tu une idée de ce que je viens d'apprendre ? On a énuméré ma vie dans dix putains de lignes !

Fais attention à ce que tu vas dévoiler, All.

— Grand seigneur, je connais la souffrance qu'elle procure, Styles ! J'ai moi-même failli y passer ! J'ai moi-même été abandonné par des parents lâches et égoïstes ! J'ai traîné les rues jour et nuit afin d'y trouver un refuge, alors, oui, je comprends ce que l'on peut ressentir quand la misère nous tombe dessus !

— On m'a délibérément menti depuis plus de vingt ans, All, ce n'est pas comme si tu ne savais pas que ton père et ta mère étaient de sales individualistes !

Mon cœur se brise face à ce souvenir.

— Mes parents ne m'ont peut-être pas donné tout ce dont j'avais besoin, mais quelle différence cela fait-il ?

— Parce qu'ils méritent mieux comme réaction ?

— Parents de sang ou pas, ils nous ont aimés et élevés comme leurs enfants, Styles. Ça ne t'est pas venu à l'esprit de te dire qu'ils ne voulaient pas te blesser ou qu'ils n'étaient pas prêts ? Qu'ils te pensaient encore trop petit ?

— Je vais avoir trente ans, je te rappelle, All. C'est un peu tard, non ?

— Le mensonge n'est pas commode à déballer. Je suppose que ce n'était pas facile pour eux.

— Donc, facile à avouer maintenant qu'il ne reste plus personne !

— Elle aurait très bien pu ne jamais te dire la vérité !

— Et c'est ce qu'elle aurait dû faire ! L'emporter dans sa tombe !

Je réfugie son visage altéré au creux de mes paumes afin qu'il retrouve une certaine tranquillité.

— Styles, tu avais de l'amour à porter de mains en fin de compte, alors pourquoi tant de haine ?

— Si tu ne veux pas me comprendre, va te faire foutre...

Je craque lorsqu'il se défait tel un sauvage de mon étreinte.

— Personne ne s'en branlait de toi ! Tu as eu un cadeau à chaque Noël ! À manger à chaque repas ! Des bras autour de toi quand ça n'allait pas ! Ils ont tout fait et l'unique comportement que tu retiens, c'est leur mensonge ! Tu n'as pas été orphelin, Styles ! Tu as eu trois parents aimants pour le prix de deux !

Il se laisse choir sur le sofa. Las.

— N'empêche que je leur en veux quand même. Ils m'ont privé de mon histoire, de mon identité.

— Je sais, Styles. Je sais...

Pas sans toi... T Where stories live. Discover now