Chapitre 2 : Le manoir

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La nuit commençait à pointer le bout de son nez quand la jeune femme passa la porte de chez elle. Une grande demeure aux nombreuses chambres désormais vides et aux murs envahis par le lierre. Le jardin aussi était en piteux état, herbes folles et branches tordues dans tous les sens et quelques rares camélias noyés dans tout cela qui dispersaient des tâches roses, blanches et rouges de ci de là. Un manoir fait pour une centaine de personnes, famille et domestiques confondus, se retrouvait vidé de presque toute vie. Ils étaient désormais deux :

Catherine Glayel, à peine vingt-et-un an et fille aînée du duc Neal Glayel, possédait de courts cheveux blonds et des yeux gris comme un ciel orageux, un nez discret et de fines lèvres, d'une taille moyenne et manquant cruellement de formes.

Jideon Glayel, sept ans et le portrait craché de sa sœur et était le fils cadet. Il était souvent alité à cause d'une maladie inconnue depuis sa naissance et Cat veillait particulièrement sur lui et n'hésitait pas à dilapider tout l'argent qu'elle pouvait pour ses soins.

Quelques domestiques étaient restés mais ils pouvaient être comptés sur les doigts d'une main. Le majordome, le cuisinier, le médecin et deux servantes. Il n'y avait qu'eux qui étaient restés malgré la ruine de la famille, mais c'était aussi eux qui avaient une très haute estime de leurs deux maîtres. Cat était toujours aimable et ne les épuisait pas dans des tâches inutiles, c'est pour cela que plus des deux tiers du manoir étaient condamnés. Et Jideon, malgré son état, était un enfant des plus joyeux et gentil. C'était peut-être même lui qui parlait le plus aux membres des domestiques.

Comme à son habitude, la jeune femme passait par les cuisines pour récupérer quelques rares vivres et se nourrir après une journée de jeun complet. Pas de cuisinier en vue, ce n'était pas étonnant car il devait certainement être dans la cave à s'occuper des maigres proies qui avaient été dépecées et découpées pour être salées. Par contre, la table où avant il n'y avait que quelques fruits et une miche de pain datant du petit matin, se trouvait désormais de nombreux fruits, champignons et même de petites proies fraîchement abattues. D'où pouvaient bien venir toutes ces provisions?

- Charles! Ramène-toi! cria-t-elle.

Aimable ne voulait pas dire polie pour les appeler. Pourtant, le cuisinier ne broncha pas en arrivant non pas de la cave, mais de la courette accessible seulement par cette pièce. Il s'y trouvait un puits, quelques poules, une demie-douzaine de cailles et un potager très limité en choix étant donné la rudesse du froid par ici. Charles était visiblement parti chercher de l'eau et les rares œufs, mais quand il découvrit la table, il en laissa tomber le tout, la bouche grande ouverte. Ce n'était pas un homme très épais, il était même un peu musclé, peut-être à force de s'occuper de découper les carcasses et de puiser de l'eau. Mis à part cela, son physique était plutôt banal, des cheveux bruns parsemés de blanc, des yeux marrons et un visage fatigué dû au début de la vieillesse.

- Mais... Qu'est-ce que... bafouilla-t-il. D'où ça sort tout ça?

- C'est justement ce que je comptais te demander ...

Elle piocha sur la table pour prendre l'un des fruits et le renifler. Il sentait indéniablement le sucré et l'envie de la croquer était grande, comme si le fruit lui-même l'appelait à le dévorer. C'est difficilement qu'elle reposa ce qu'elle avait pris.

- Charles, prépare tout cela pour être stocké et conservé. Même si nous ne savons pas qui nous a apporté tout ceci, nous ne pouvons pas nous permettre de gâcher ces aliments.

Sans discuter, le cuisinier s'activa pendant que Catherine partait de la pièce, en ayant oublié de manger. Ce n'était pas si grave, après tout cela lui arrivait souvent de sauter les repas du soir en plus de celui de midi, se contentant de son petit déjeuner consistant en deux tranches de pain, un œuf brouillé et quelques tranches de jambon sec. Elle se demandait si son petit frère dormait à cette heure tout en se dirigeant dans l'aile est, la seule qui n'avait pas été condamnée, où se trouvait la bibliothèque familiale, les chambres, et un grand salon qui servait rarement. Un bain... C'est ce qu'elle avait besoin dans l'immédiat pour se décrasser de la journée beaucoup trop longue à son goût et elle en profita pour aller voir les servantes et leur demander de préparer ce bain qui la fait languir pendant qu'elle commencerait à se déshabiller et nettoyer le plus gros de la boue. Pendant son bain, la plus jeune des servantes s'occupait de sa toilette, de ses cheveux emmêlés avec des brindilles et des aiguilles de pin.

Le bain terminé, il fallait désormais passer à l'habillement. Certes, elle était rentrée, mais cette nuit se tenait un bal où les familles nobles ne pouvaient s'y soustraire. C'était la cérémonie du passage à l'âge adulte de la seule fille et princesse impériale. Cat ne la connaissait que très peu, croisée quelques fois au palais impérial lors de ses rares visites. Une robe vert émeraude à la dentelle finement travaillée et des bijoux assortis avec un ruban vert tenant en place la courte crinière blonde. Tout ceci était un vestige du passé, quelques tenues qu'elle avait décidé de conserver pour garder la face en face de l'empereur et sa famille. Personne ne devait savoir à quel point cette famille était devenue insignifiante.

C'est une fois parée et maquillée finement que la servante quitta la chambre de la jeune femme, la laissant face à son reflet dans la glace : elle était vraiment maigre ces derniers mois... Mais le moment n'était pas de se soucier de son poids, mais de rejoindre la voiture pour ensuite supporter les festivités jusqu'au petit matin. Qu'est-ce qu'elle détestait rester dehors pour la nuit...

Dépérir et repartirWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu