Première partie : Lettre 1

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 Frontière de Gaellie

32ème année après la chute des Murs

9ème lune 

15ème jour


Ma chère Helen,

Notre voyage commence enfin. Devant moi se défile un passage tortueux qui serpente au creux d'immenses falaises. Nous sommes arrivés aux frontières de la Gaellie. En traçant ces mots, je suis empreinte d'une joie immense mêlée d'inquiétude : c'est la première fois que je pars si loin de chez nous. Jusqu'ici, rien de notable ne s'est passé. Nous avons marché à travers les collines et la plaine sans voir l'ombre d'un korrigan, bien que j'aie souvent entendu leurs murmures malicieux à la tombée de la nuit. Rassure-toi, je me suis bien gardée de les écouter, grâce aux enseignements du vieux Liam. Les premiers jours, ma présence semblait irriter les hommes que je guide ; ils me méprisent car à leurs yeux, mes connaissances sont à la portée de tous et n'ont donc aucune valeur. J'ai cependant trouvé un allié inattendu en la personne de Tuzra, l'ambassadeur du Pays de l'Autre Côté du Désert. Je l'appelle ainsi car il ne m'en a jamais donné le véritable nom, malgré mes questions.

Le regard de mes compagnons a changé lors de la traversée des marais. Ils me tiennent toujours à l'écart mais affichent une attitude plus respectueuse sur mon passage. En effet, il s'en est fallu de peu pour que notre aventure se termine avec nos corps embourbés dans la vase, à la merci des feux follets. Il y a deux semaines environ, à la sortie de la Forêt Noire, le groupe parti en éclaireur s'est perdu dans le marécage. Trois autres sont partis à leur recherche, ne laissant que Tuzra et moi pour surveiller le camp. Comme ils ne revenaient pas, j'ai décidé de partir à mon tour, et je les ai retrouvé courant vers la lueur de ce qu'ils croyaient être le feu de camp. J'ai eu du mal à les arracher à l'emprise sournoise du follet, et si j'y suis parvenue c'est grâce à la vision soudaine de deux corps profondément enfouis dans la boue, vers lesquels la lueur tremblotante les menait, et qui leur a rendu leur lucidité.

Sous leurs teints livides, j'ai essayé de dégager les malheureux, en vain. Cet incident m'a rendue encore plus méfiante. Les follets sont certes de dangereuses créatures, mais je ne crains pas moins l'appel du lutin qui se faufile dans les bagages et pousse les voyageurs à la folie. Mais assez de lamentations, ou tu vas penser que je regrette d'être partie. Au contraire, c'est sur ce passage étroit et labyrinthique que mon aventure commence enfin. Et l'autre côté de ces falaises, le monde entier se tiendra sous mes yeux.

Je t'aime,

Mahëvys

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