Chapitre 1 - Tu penses qu'Il n'existe pas ?

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Iris

- Maman te demande.

Je jette un coup d'œil et vois Ezra à ma porte, agacée que ma mère l'utilise pour venir me chercher lorsque je ne l'entends pas à cause de mes écouteurs.

- J'arrive.

Je dépose mes écouteurs sur ma table de nuit, souffle un dernier coup et rejoins ma mère au salon. Elle est allongée sur le canapé, la télécommande à la main, l'air triste. Sur la table basse, une bouteille de vin rouge bon marché et un paquet de cigarettes. Ça fait un bon bout de temps que je n'ai pas vu ma mère passer ses jours de congé autrement ; elle trouve toujours le moyen de consommer de l'alcool, même quand on n'a pas l'argent pour en acheter. Ezra et moi nous efforcions, au début de son addiction, de cacher ses bouteilles ou bien de les vider dans le lavabo de la cuisine, mais après toutes ces années, il devenait de plus en plus difficile pour nous de voir le bout du tunnel. Alors on s'est tues, et sans évoquer le sujet, on s'est mises d'accord pour faire mine que tout va bien. Nous, on avait perdu notre mère, et elle, elle en avait gagnées deux.

- Oui ?
- J'ai besoin de ton aide cette semaine. Je serai chez Anthony. Je rentrerai samedi. Tu pourras t'occuper des courses ?
- D'accord.
- Et surtout, prends des trucs un peu plus caloriques. Ta sœur et toi, vous avez la peau sur les os !

Du coin de l'œil, j'aperçois Ezra mettre les bras autour de sa taille avant de retourner dans sa chambre, sans dire un mot.

- D'accord, je répète.
- Merci ma chérie.

Épuisée, je la regarde s'endormir une énième fois sur le canapé en me demandant comment on en est arrivées là. Mais les souvenirs ne tardent pas à me revenir et les larmes finissent par monter. La maison n'est pas très grande pour nous trois, pourtant elle paraît vide tant l'ambiance est pesante. La chambre de ma mère est composée d'un lit dont les draps n'ont pas été changés depuis des mois – elle n'y dort jamais – et d'une commode en bois sur laquelle s'accumule la poussière. La chambre d'Ezra est toujours parfaitement rangée, mais les photos de mon père accrochées au mur lui rappellent chaque jour qu'il n'est plus là. Quant à la mienne, elle est remplie de petites lumières, car je suis incapable de dormir dans le noir. Et c'est ainsi que l'on vit, sans trop parler des sujets qui fâchent... ou qui nous rendent tristes.

Dans le couloir, je m'arrête devant la porte d'Ezra. Après une longue hésitation, je décide de toquer.

- Laisse-moi, murmure-t-elle.
- Écoute, je sais que c'est difficile.
- Laisse-moi !
- Si tu sors, je t'emmène prendre une glace et on pourra rester un peu dehors. Allez viens. Je suis sûre que ça va te faire du bien.

Soudain, la porte s'ouvre et je constate qu'Ezra a les yeux tellement bouffis qu'elle peine à les garder ouverts, mais au moins, elle m'adresse un sourire avant de me prendre dans ses bras.

- Iris, tu penses que Dieu nous aime ?
- Il est censé pouvoir aimer tout le monde, enfin c'est ce qu'on dit. Mais si tu veux mon avis, je pense que s'Il existait vraiment, on n'aurait pas à se poser la question.
- Tu penses qu'Il n'existe pas ?
- J'en sais rien, Ezra. Regarde à quoi ressemblent nos vies.
- La grande sœur de Rosie est du genre super chrétienne, elle est persuadée qu'Il existe, elle prie à table et tout...
- Bah écoute, quand maman se rappellera qu'elle est mère et papa ressuscitera, ce jour-là on se mettra à table et on priera peut-être.

Elle hausse les épaules et passe devant moi.

Je déteste les discours à propos de Dieu. Quand on habitait encore avec mon ancien beau-père, on avait toujours droit à des réflexions de sa part : Dieu n'aurait pas aimé ci, Dieu n'aurait pas aimé ça... Ce n'est pas qu'il ait épousé une non croyante, le problème – même s'il aurait dû se demander pourquoi maman ne calculait jamais ses speechs – c'est qu'il n'en avait pas vraiment peur. Je veux dire, c'était une horrible personne. Il passait son temps à nous rabaisser, Ezra et moi, sur notre physique, notre manière d'agir... Il nous privait de nourriture quand maman n'était pas à la maison, il jetait nos affaires dans des poubelles publiques juste pour s'amuser, et parfois, quand on rentrait de l'école à pieds, il passait devant nous et faisait en sorte de rouler sur les flaques d'eau pour qu'elles nous éclaboussent. Quel Dieu autoriserait un type de quarante ans à humilier et insulter des petites filles ?

En fait, je trouve que c'est d'une belle ironie. On devrait prier pour Le remercier ? Je n'ai pas envie de jouer les hypocrites. Quand je regarde autour de moi, je ne vois pas vraiment de raison pour laquelle je devrais Lui dire merci. Mais je ne doute pas de la bonté de Dieu ; je sais que les croyants prient un Dieu parfait, aimant et miséricordieux... et c'est pourquoi je suis convaincue qu'Il n'existe pas. Malgré moi, j'envie les gens qui sont persuadés qu'Il l'est. Car eux au moins, ils ont quelque chose que je n'ai plus : l'espoir.



Romains 15:13
Que le Dieu de l'espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi, pour que vous débordiez d'espérance, par la puissance du Saint-Esprit !

Iris et IsaacWhere stories live. Discover now