Daemonuis Heaven or Hell's

Amour de jeunesse

— Chut ! Mon enfant, mon fils a beaucoup de choses à régler. Un jour, il viendra te demander de l'aide, tu devras le lui refuser, tu m'entends ? insista-t-il en relevant mon visage pour que je le regarde. Jamais tu ne dois lui accorder ta confiance ou même chercher à le revoir. Il en va de ta sécurité ainsi que de celle de ton coven ! répéta-t-il, ses iris ancrés dans les miens afin de m'hypnotiser.

Je fronce les sourcils à ce souvenir, car il diffère de celui qu'il me semblait avoir. Dans le dernier dont je me rappelle, Nuada me révélait sa paternité et m'aidait à me rétablir tout en reformant nos protections afin que nous ne soyons plus agressés. Alors d'où vient cette certitude que l'on a tronqué ma mémoire avec des mensonges ?

Plus je tente de comprendre ce qu'il se passe et plus ma tête est douloureuse, c'est à ce moment que je sens une douce chaleur sur ma cheville. Je baisse les yeux pour m'apercevoir que c'est la main de Nicholas qui l'encercle. Il ne la serre pas, il a juste enroulé ses doigts comme s'il s'efforçait de se raccrocher au monde.

— Mais bordel ! Qu'est-ce que cela veut dire ? m'exclamé-je, déroutée par toutes les sensations qui m'assaillent de toute part.

La jeune femme et son compagnon me dévisagent en haussant les sourcils, ne comprenant pas à quoi je fais référence. Puis ils aperçoivent la main de leur ami, qu'ils essaient de retirer en vain.

— Je t'en supplie, pardonne-moi, susurre la voix de l'homme à terre.

Je penche mon visage sur le côté, je l'examine avec mon cœur, comme maman me l'a appris. Le choc de ce que je perçois m'incite à reculer, mais sa poigne se raffermit sur mon pied.

— Je... commencé-je.

— Pitié, si j'avais su... Si je pouvais mourir, je donnerais ma vie pour te rendre la sienne, glapit-il en relevant les yeux vers moi.

Ils sont clairs, brillants des larmes qu'il verse sans tenter de les chasser. La jeune fée est dans le même état que Nicholas, son compagnon la prend dans ses bras alors que la monstruosité de la situation me saute au visage.

Son géniteur a tout entrepris pour qu'il ne trouve pas d'assistance, je me demande s'il n'a pas fait exprès d'attendre que Camille meure pour se déplacer. L'enchanteresse était plus calme en vieillissant, je sais que ma mère et elle se confiaient beaucoup l'une à l'autre.

La réalité de sorcière dans notre coven n'est pas si simple qu'il y paraît. Mes parents ont dû vivre séparés toute leur vie, car les lois qui régissaient celui-ci ordonnent qu'il n'y ait aucun homme dans ces lieux. D'où la situation dégradée pour Camille et son fils, chaque femme habitant dans cet endroit lui reprochait la naissance de son garçon, l'insultant ou se moquant d'elle. Elle aurait pu essayer de le proposer à l'adoption, mais quelque chose l'en a empêché.

Maman lui a toujours dit que c'était sûrement l'amour maternel, ce qu'elle réfutait en lui répondant qu'une mère ne tente pas de tuer son enfant. Ce n'est que quelque temps avant que Camille et elle ne décèdent que nous avons commencé à nous demander si nous n'étions pas toutes victimes d'un sort.

Chaque homme qui venait dans le coven se sentait tellement mal qu'il devait partir, sauf Nicholas qui a tenu bon. Mon père a expérimenté lui-même cet état, c'est pourtant un sorcier de grande renommée dans notre monde.

Goran Whitmore est américain, il est tombé fou amoureux de ma mère dès qu'il l'a vue et inversement. Notre coven n'est dirigé que par des femmes et maman fut nommée à un statut plus élevé alors qu'elle envisageait de rejoindre son mari. L'obligeant à avorter leurs projets.

Leur vie commune s'est très vite désagrégée au fil des mois passés dans notre grande maison. Comme si celle-ci pourrissait leurs sentiments. Jalousie, envie, colère, il n'y avait pas une journée où ils ne se disputaient pas. Ils ont fini par divorcer d'un commun accord, mais lorsque mon père est rentré chez lui, maman a commencé à se demander pourquoi elle avait réagi ainsi.

Bref, le fait est que Goran habite à des milliers de kilomètres de moi et que la coutume voulait que ce soient les femmes de notre coven qui m'enseignent leurs connaissances. Au détriment de mes sentiments, Camille me mettait souvent en garde contre ceux-ci d'ailleurs.

— Ne prends pas pour argent comptant tout ce que te confie un homme, ils ne réfléchissent pas comme nous. De plus, ils sont malins et manipulateurs, me répétait-elle régulièrement.

Je passe mes deux mains dans mes cheveux en me tenant le crâne, je ne sais plus quoi dire ni penser. Tout se bouscule dans ma tête, qu'est-ce qui est vrai et où commence l'illusion ?

— Écoute ton cœur, me souffle la fée. Lui seul peut te donner la voie à suivre.

— Je pourrais t'aider à comprendre et enlever tes faux souvenirs. Nonobstant, tu penserais alors que je t'influence, me réplique le nephilim.

Ils n'ont pas bougé, tous les deux assis près de leur ami, lui-même toujours étendu sur le dallage de notre demeure, Nicholas reste silencieux. Il n'a pas besoin de parler, ses larmes le font pour lui.

Je soupire bruyamment en me frottant les yeux, tant pis pour mon maquillage, j'ai les nerfs à fleur de peau.

— Je sens que je vais le regretter, mais je déteste que l'on me manipule, glissé-je en les dévisageant tour à tour. Et il semble bien que l'on m'ait prise pour une girouette, en m'implantant des souvenirs qui ne sont pas les miens.

Je m'agenouille auprès de l'homme qui a bien souvent donné une tournure torride à mes rêves d'adolescente, je pose ma paume sur sa joue. Elle est encore humide, cependant elle est aussi chaude et rugueuse.

Est-ce mal, si je m'imagine l'embrasser alors que je lui ai jeté toutes ces atrocités au visage, et que je discerne que le deuil de sa famille est toujours frais dans son esprit ?

C'est sûrement une des raisons qui me mettaient en colère, je sais l'effet qu'il a sur mon corps et je n'ai pas envie de vivre le rejet comme mes parents. Un soupir passe mes lèvres, je ferme les yeux en me relevant et je reprends d'une voix que j'espère ferme.

— Amenez-le dans sa chambre, il vous montrera le chemin. Vous comprendrez que même si je suis responsable de cette communauté, je ne peux agir seule. Je vous donnerai notre décision rapidement. En attendant, vous êtes nos invités. Je compte sur vous pour m'épauler pour que je retrouve mes véritables souvenirs ! Je n'apprécie pas que l'on se joue de moi, terminé-je en me déplaçant en direction de la porte.

Je les laisse dans mon bureau alors que le dénommé Théo aide Nicholas à se redresser. Mes talons claquent sur le carrelage, mais j'ai le temps d'entendre les dernières paroles qu'ils prononcent :

— Bah ! Elle a un caractère de merde, cette gonzesse ! s'écrie Théo.

Je discerne le rire mélodieux de sa compagne, et je suis surprise par la réponse que marmonne Nicholas :

— S'il te plaît, ne parle pas d'elle comme ça. C'était ma seule amie ici et j'étais sérieux tout à l'heure, j'aurais dû m'inquiéter de leurs sorts bien avant.

Je me dirige vers ma chambre en grandes enjambées. Je pénètre à l'intérieur et les mains sur les hanches, j'examine mon antre. Je referme la porte prestement en prenant un sac de voyage et je range tous les cadres contenant les photos de Nicholas et moi, que j'avais placés un peu partout dans la pièce. Pour lui, j'étais son amie.

Pour moi, c'est l'homme qui est parti avec mon cœur lorsqu'il a épousé sa femme. Je ferme les paupières en espérant chasser les larmes qui s'y pressent. Brusquement, ma porte s'ouvre en claquant contre le mur.

— Je savais que je te trouverais en train de faire le ménage dans ta piaule, lorsque j'ai constaté le retour du fils prodigue, m'assène Esmeralda en sautant sur mon lit.

La petite blonde aux cheveux courts rigole en me voyant lui faire les gros yeux. Je vais devoir la gérer ainsi que cet organe trop romantique qui commence à faire des plans sur la comète.

Et celle-ci se révèle être un homme musclé juste comme il faut, avec un regard aussi clair qu'un glacier et une chevelure noire que pas mal de femmes doivent envier. Sans oublier qu'il a volé mon cœur d'adolescente et tout ça sans même en avoir conscience.

Autrementdit : je suis dans la merde !