Le Sang des Alchimistes - Tome 1 : Géode

Chapitre 2 : La prodige (2/4)

S'il avait su tout ce que cette journée lui réservait, Aegis serait très certainement resté couché. Il adorait se balader dans la nature, mais courir après cette chipie trouvait une place de choix dans la liste de ses pires contraintes, quelque part entre « faire des cauchemars tous les jours » et « se nourrir de champignons dans les caves du couvent ». Heureusement pour lui, l'accoutrement de la jeune fille était facilement repérable dans le décor blanc et ses traces de pas sur les mousses mettaient du temps à s'estomper. Il lui faudrait un miracle pour lui échapper.

Harmonia semblait quant à elle savourer ce moment et malgré sa tenue peu adaptée à la course, elle ne cessait de creuser l'écart qui les séparait. De temps à autre, elle se retournait et l'attendait avant de repartir de plus belle. Probablement afin de ne pas décourager Aegis, ce qui ne manquait pas de l'exaspérer davantage. Loin derrière, il pestait contre elle en repoussant les branches qui gênaient son passage.

Une occasion s'offrit à lui lorsqu'Harmonia, sautant du haut d'un escarpement, atterrit accidentellement sur le sommet d'une cénide. Deux fois plus grande que la fille, la créature au sommet arrondi et aux filaments tombants devait errer depuis des cycles, prise au piège par la frondaison, pour avoir atteint cette taille. Le choc de l'impact avait retourné l'ombrelle diaphane qui composait la partie supérieure de son corps. Dans cette posture, la cénide perdait sa faculté de voler. Elle déclina lentement vers le sol en débattant les dizaines de filaments fixés en colonne sur sa partie inférieure. Au centre de sa calotte, des lumières scintillaient témoignant de sa détresse.

Harmonia se releva de sa chute et s'empressa de lui retourner l'ombrelle afin qu'elle puisse reprendre son vol lent et immotivé. La créature s'éleva alors progressivement et reprit sa teinte améthyste habituelle.

- Pardon, souffla Harmonia en caressant la cénide dont l'éclat papillota avant de repartir.

- On arrête là ? réclama Aegis qui avait assisté à la scène du dessus.

- Tu t'avoues vaincu ?

- Certainement pas !

- Alors on n'arrête pas, annonça-t-elle en reprenant sa course.

Il leva les yeux au ciel en soupirant avant de se laisser glisser le long de la paroi escarpée.

La poursuite n'en finissait pas. Il était à bout de souffle et le sel soulevé par la course commençait à lui piquer les égratignures provoquées par le frottement de ses sandales. Harmonia allait lui payer cette escapade forcée. Il l'avait perdue de vue, mais ne s'en inquiéta pas pour autant, ses explorations passées lui donnaient un avantage certain. La région n'avait aucun secret pour lui, il s'y repérait les yeux bandés. Surgissant hors de la forêt dans une vallée découverte, il sonda le paysage rocheux. Plus loin en contrebas, le repli du terrain était marqué par une immense crevasse.

Harmonia s'était plantée devant et se penchait avec précaution par-dessus la déchirure pour en évaluer la profondeur. Sa seule issue était le pont à racines bien plus en amont. D'où il se trouvait, il n'aurait aucun souci à lui couper la route si elle se remettait à courir. Elle était coincée.

Ralentissant son allure, il l'observa au loin jeter des coups d'œil à droite et à gauche.

- C'est terminé Harmonia ! lui cria-t-il.

Elle fit volte-face, tout sourire, ce qui le déconcerta quelque peu. Il marchait dans sa direction en savourant une victoire certaine. Mais pourquoi continuait-elle de sourire ? Aegis fut pris d'un doute. Elle ne pouvait certainement pas sauter, car plus bas dans la gorge grondait la rivière sauvage du Séran. Une chute dans ses eaux tumultueuses et c'était la mort assurée.