L'appel du gouffre

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L'instant d'avant j'étais dans cette pièce un peu surnaturelle qui est mon antre, mon secret, mon monde. A présent tout est flou autour de moi : derrière l'épais brouillard, je ne distingue plus rien des murs rassurants qui me protègent des autres.

Je l'ai senti arriver. J'ai voulu appeler à l'aide mais j'avais peur de déranger. De les contrarier, surtout. Cela arrive si souvent ; de plus en plus souvent à vrai dire. Ce n'est pas la première fois, je sais donc que dès lors que la noirceur m'envahit je ne suis plus en sécurité... Elle a le contrôle.

Je sais bien que rien n'est réel, que ce n'est que le fruit de mon imagination. Le vagabondage de mes pensées auquel je ne peux commander m'entraîne souvent là-bas, loin du seul refuge où je peux essayer de me cacher.

On me le répète encore et encore... Que ça va aller, que ça ira car je suis si bien entourée... Mais la petite voix revient toujours, elle n'abandonne pas. Malgré tous leurs efforts pour m'en libérer, leur patience et leur amour, rien ne semble pouvoir l'obliger à me laisser en paix.

Au début, quelques mots rassurants de ceux qui me sont les plus proches suffisaient à me calmer. Puis le temps a passé et avec lui de nombreuses peurs et des doutes nouveaux se sont amoncelés en moi. Je n'ai pas su les repousser, tout est ma faute.

J'ai conscience de la chance que j'ai. J'ai conscience des joies de ma vie que je chéris et des gens qui tiennent à moi. Ces derniers me retiennent ; ils m'empêchent de sombrer. Sans eux, le gouffre au bord duquel ma vie est en fragile équilibre aurait depuis longtemps réussi à m'attirer de par le fond. J'en suis certaine, cela ne fait aucun doute. Eux ne me croient pas. Et après tout peu importe s'ils ne savent pas qu'ils me sauvent la vie chaque fois qu'ils me disent « t'inquiètes, je suis là ».

Cependant, depuis quelques temps, la noirceur qui pèse sur mon cœur est plus forte. Son poids se fait plus lourd et c'est parfois insoutenable : cela fait presque mal. Et pourtant, rien n'est réel. Tout est dans ma tête. Les pensées, les peurs, les angoisses, les doutes, la nostalgie... Tout cela tourne dans mon esprit, et je suis piéger avec.

Jour après jour, j'ai l'impression d'être folle ; nuit après nuit, le négatif en moi est libre de s'exprimer à travers mes rêves, ou plutôt dans ces cauchemars qui prennent le contrôle de chacune de mes tentatives de repos.

Malgré l'habitude, je m'éveille parfois avec l'envie que tout s'arrête pour de bon. Je m'en veux tellement de pouvoir penser ça alors que des gens tiennent à moi et que je les aime tant en retour que je ne voudrais les blesser pour rien au monde... Sauf que c'est plus fort que moi. La voix négative, si réelle, s'impose en moi et la combat m'est impossible.

Tout cela m'use, jour et nuit, encore et encore. On me dit que ça passera au fur et à mesure des nouvelles étapes de ma vie et j'aimerais le croire ! Mais je n'ai pas de répit, et je sens mon courage et mon espoir faillir. Ils s'effritent entre les doigts du temps qui passe, insouciant du mal qu'il cause.

Dans les pires moments, la noirceur est la plus forte que tout. Comme une mince couche de givre se dépose partout les nuits d'hiver les plus froides, tous mes souvenirs se teintent alors d'une triste nostalgie qui semble les abîmer irrévocablement. Mes pensées s'embrouillent et je ne vois plus que le négatif qui s'empare de moi sans ménagement.

La voix est persuasive, le gouffre m'appelle de plus belle et la main qui m'empêche de tomber semble s'éloigner de plus en plus vite. Malgré moi, je veux lâcher cette main. Pourtant, elle me tient toujours fermement ! Lui qui n'entend pas ma noirceur, il me connaît. Il sait qu'à ce moment précis je ne lutte plus. Que je ne me raccroche presque plus à cette main tendue, symbole de confiance. Que je préfèrerais peut-être choisir la simplicité. Si souvent je me demande... M'en veut-il d'abandonner alors que lui se bat pour moi ?

J'ai perdu le contrôle de mon esprit. Les photos au mur ne me rappellent en rien la joie des moments passés mais seulement tout ce que je peux perdre sur un simple claquement de doigts du destin. J'ai peur tandis que dans cette noirceur infinie qui m'entoure je ne distingue plus du tout ceux qui m'interdisent de partir. Ceux qui ne me laisseront jamais tomber. L'un a beau me dire qu'il m'aime comme je suis, qu'il ferait tout pour moi, et l'autre me rappeler l'important dans la vie, tout me paraît impossible. C'est si dur de se libérer de l'emprise de cette noirceur qui me fait sombrer...

Mais je les crois. C'est ce qui me sauve chaque fois. La crise laissera une trace et il me faudra beaucoup de larmes et une grande concentration pour que je puisse à nouveau penser par moi-même. Mon sommeil sera empli de souffrance et les pensées les plus négatives auront laissé leur empreinte indélébile en moi. J'y repenserai souvent, à chaque minute laissée seule avec moi-même. Mais c'est comme ça. Une solution ? Je n'y crois plus, à force.

Je sais que ça reviendra : ça revient toujours. Et je sais que ça sera toujours là, quelque part en moi : les cicatrices du passé ne guérissent jamais vraiment, elles se font juste plus discrètes.

Folie ou simple différence ?Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon