Mes Souvenirs Bombardés

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La fumée envahissante du train entre dans mes narines. Elle n'est pas comme celle que je connais. Celle-là est chaleureuse. Les cris de joie des enfants retrouvant des proches créent un sentiment heureux et nostalgique dans mon cœur. La plupart de ces parents viennent rejoindre leur famille après de longs mois d'absence. Moi, je ne peux pas retourner vers mes proches. Ils sont soit morts, soit, derrière moi, sur un banc en attendant le train en direction de Montréal. Ce moment émouvant a été clos par un coup de sifflet strident qui se suit d'une annonce criée par un homme en uniforme foncé. Il s'exprime dans la langue locale que je ne comprends pas, mais je peux saisir, à l'intonation de l'individu, ce qu'il dit. « Tutti à bordo ! ». C'est le temps d'embarquer dans le train. Mes mains sont moites, je ne veux pas aller dans un convoi rempli d'envahisseurs.

Je m'installe dans mon siège en cuir avec Roberto enlacé à mon cou. Il y a encore l'odeur parfumée de la personne qui s'était assise avant moi. Dans le siège d'en face, ma sœur, Vero, est avec Melania dans ses bras. Elles sont trop chou ensemble. Melania ressemble beaucoup à sa mère. Je discute avec Vero pour savoir ce que l'on va faire quand on arrive dans la Petite Italie. Notre conversation s'interrompt lorsque le train commence à bouger. Le mouvement de la locomotive produit un bruit sourd qui résonne dans la gare. Le vacarme accomplit une vibration dans mon corps qui se rend jusqu'aux os. C'est là que tout me revient

Le tremblement qui fait vibrer la maison nous réveille. Des sons sourds se font entendre au loin, mais aussi très proche. Le salon est rempli de mes 5 frères et sœurs qui semblent inquiets. Nous devons évacuer notre ville chérie. Mamma est dans la cuisine pour ramasser des vivres. Mes frères, mes sœurs, et moi, nous l'aidons en ramassant tout ce qui pourrait être utile comme des couvertures ou des vêtements chauds. Malheureusement, il n'y en avait pas beaucoup. Nous connaissons déjà la cause de l'évacuation et du tremblement, un bombardement. Depuis que l'Italie s'est alliée avec l'Allemagne, il n'y a que des problèmes. D'abord, les hommes doivent partir à la guerre. Dans notre famille, c'est notre père et notre frère se sont « sacrifiés pour notre pays ». Maintenant, notre ville, Ortona, qui était si paisible, il y a 3 ans et 6 mois, est actuellement en ruine.

Nous sortons dehors. La ville est méconnaissable. L'odeur poudreuse des maisons effondrées règne dans l'atmosphère. Nous sommes à peine habillés pour contrer le froid hivernal de décembre. Mes sœurs et moi sommes emmitouflés dans de maigres couvertures trouées par l'usure. Nous marchons jusqu'à la place commune. Un attroupement de personnes affolées s'est formé. Les soldats responsables de la ville font évacuer le plus de personnes possible. Roberto, Veronica, ma nièce illégitime, et moi sommes séparés du reste de la famille. Nous sommes poussés dans les camions d'évacuation par la foule de personnes affolées par les évènements. Des rumeurs circulent que ce sont les Canadiens qui nous attaquent. Pourtant, ils ont une réputation de gentils. Booooom... Une bombe vient d'être lâchée. Le reste de la famille Ettore n'a pas pu s'enfuir dans les camions sales verts. J'ai entendu Mamma nous crier au loin quelque chose avant que la bombe explose sur eux . « Elina, Vero, Roberto. Continuez ! »

Elina, Elina, on est arrivé ! dit mon petit frère avec une voix remplie d'excitation et de fascination.


Une larme coule sur mon visage. Comment ai-je pu oublier cette partie si importante de ma vie ? Je savais qu'ils étaient morts, mais pas de cette façon aussi cruelle. Je suis dans l'incompréhension. C'est comme si mes souvenirs de la guerre et de la famille Ettore ont été bombardés, ils sont en ruine.

Mes Souvenirs BombardésWhere stories live. Discover now