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Les cris exaspérés de Violette balayèrent ses considérations. La jeune fille, ses cheveux blonds en désordre sur les épaules, avait le manteau trempé et se massait vigoureusement le coude. Elle s'était apparemment faite avoir par une autre plaque de verglas, plus haut dans la rue, et avait terminé les quatre fers en l'air sur le trottoir. Clément et Anthony, les jumeaux Rimbaud, auxquels elle avait récemment collé une branlée, avaient profité de cette position de faiblesse pour la bombarder de boules de neige.


— Je vais adopter une centaine de chats, les enfermer dans la cave et les affamer. Quand la faim les aura rendu fous, je leur jetterai les jumeaux en pâture ! dit-elle, furieuse, à la limite de la démence. Il faudra que je pense à faire installer un hublot sur la porte avant, pour pouvoir admirer le spectacle.


Proserpine éclata de rire, un rire proche de l'aboiement qui, d'après sa mère, faisait mal aux tympans.

L'inconnu à casquette avait levé la tête et les fixait. Il avait des yeux d'un bleu perçant. Proserpine cilla.


— Mes parents s'obstinent avec leurs minis pelles ! poursuivit Violette. Je leur ai répété mille deux-cents fois qu'il fallait en acheter des larges, mais non. Soi-disant que ce serait trop lourd, que ma mère et moi ne pourrions pas pousser. Je te jure ! des baffes qui se perdent ! Résultat des courses, je suis à la bourre et gelée jusqu'à la moelle.


Proserpine sourit et lui tapota l'épaule.


— On s'occupera de tes affaires en arrivant, la réconforta-t-elle.

— Oui, approuva Violette avant d'ajouter, autrement plus enthousiaste : et avec toute cette neige, on va pouvoir tester les gelures !


Proserpine sourit de plus bel. Violette ne considérait rien plus excitant que de servir la cause de son amie. Elle adorait faire office de cobaye et n'hésitait pas une seule seconde à se blesser pour que Proserpine puisse s'exercer aux soins. Née casse-cou, Violette avait découvert, par ce biais, un excellent moyen de canaliser sa hardiesse. Il fallait cependant savoir mettre le holà car elle était réellement capable du pire. Après que Proserpine eut étudié la composition de l'eau de Javel, Violette lui avait proposé, très naturellement, d'en boire un litre. Un « non » s'était imposé. Bizarrement, il avait été plus compliqué de la dissuader de se trancher l'avant-bras jusqu'à l'os.

Se frayer un chemin le long des sentiers forestiers, enfouis sous près d'un mètre de neige, ne se révéla pas chose aisée, mais Violette relativisait : à force de patauger dans la poudreuse, l'humidité avait traversé le cuir de ses chaussures et rendu ses orteils douloureux, signe que les premières engelures s'installaient doucement.

Assises sur un rocher saillant, au-dessus de la source, Violette avait ôté ses chaussettes et enfoncé ses pieds dans une congère, espérant ainsi accélérer le processus de gelure. Elle va attraper la mort...en plus du reste. Heureusement pour Violette, les rhumes et dérivés n'avaient plus aucun secret pour Proserpine.

Pour tuer le temps et détourner son attention des milliers de morsures causées par le froid, Violette soumettait des défis à son amie. Défis plutôt simples, mais que Proserpine devait relever le plus rapidement possible. C'était une des raisons pour lesquelles Proserpine aimait tant Violette : elle ne la ménageait pas, au contraire. Elle l'encourageait à accomplir plus et plus vite même si cela lui coûtait de l'énergie. « Le jour où il s'agira d'une urgence, tu me remercieras. » Proserpine n'en doutait pas. Violette lui avait ainsi demandé de faire bourgeonner un arbre. Proserpine s'était aussitôt exécutée et, en quelques secondes, avait fait éclore des milliers de fleurs. Son amie lui avait ensuite ordonné d'augmenter le débit de l'eau qui s'écoulait sous la glace. Un jeu d'enfant. La chape s'était brisée sous l'effet de la pression, un très joli spectacle. Dorénavant, Proserpine avait pour mission de fusionner les deux sections d'un morceau de bois que Violette avait rompu. La manipulation requérait plus de concentration.


— Observe sa structure, lui conseilla brutalement Violette.

— Merci, je n'y avais pas pensé, railla Proserpine.


Contrairement aux humains, les plantes étaient de constitution basique, mais l'avantage avec les humains était qu'elle pouvait s'utiliser comme modèle. Quatorze ans à se côtoyer lui avait permis de comprendre la machinerie complexe de son organisme.


— Du bois mort, franchement... maugréa-t-elle, sourcils froncés, les yeux vissés aux fragments.

— Il faut savoir se challenger, siffla Violette dont les frissonnements allaient croissants. Ceci étant dit, ne va pas t'épuiser non plus car mes orteils ont la priorité, ajouta-t-elle, grimaçante, en retirant progressivement ses pieds de l'amas de poudreuse.


Ce n'était pas beau à voir. Ni à toucher. La surface de sa peau avait pris une teinte bleutée tandis que, entre les couches inférieures de l'épiderme, des bubons de différentes tailles s'étaient formés. Ils étaient durs et donnaient l'impression de tripoter un vieux cuir. Les cellules qu'ils renfermaient étaient gelées, voire mortes.

Violette, mâchoires serrées, s'était ménagé une place sur un rocher voisin et avait posé ses pieds sur les genoux de sa camarade. Proserpine, pliée en deux, étudiait attentivement les gelures.


— Je ne suis pas contre un poil d'empressement, grommela son amie. Non pas que je sois inquiète, mais je n'aime pas bien l'idée de ne plus pouvoir plier mes orteils.

— Tu ne peux plus les bouger car la zone où s'opère la jointure de tes phalanges intermédiaires et proximales a été complètement rongée par le froid. Tes cellules se sont cristallisées et bloquent les mouvements.

— Passionnant. Prière de réparer ça fissa maintenant. Sans les mains, nounouille !

— Tu m'as demandé de me dépêcher, rétorqua Proserpine. Bouger mes mains m'aide à me concentrer.


Violette arbora sa moue de maman outrée.


— Ta tête ! Tu n'as besoin que de ta tête, range-moi ses vilains doigts au fond de tes poches.

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