Tome 1 - Le Chant du Kraken : Prologue

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Route maritime espagnole, au large d'Hispaniola, le 19 mai 1674 –

Les éclairs déchiraient le ciel nocturne et le galion espagnol tanguait dangereusement sous les assauts du vent. Des vagues hautes comme trois hommes venaient s'écraser par alternance sur le pont, noyant presque l'équipage le temps que les eaux déchaînées repartent par les dalots. Malgré cela, le capitaine hurlait ses ordres pour passer outre le bruit assourdissant du tonnerre, et les matelots couraient en tous sens pour s'occuper des voiles et gérer les cordages.

— ¡Vamos! ¡Vamos! ¡Más rápido! No estamos muy lejos de Santo Domingo ¡Si nos encontramos con esos malditos piratas, os tiro a todos por la borda! ¿Entendido?
(Allez ! Allez ! Plus vite que ça ! Nous ne sommes pas loin de Saint-Domingue ! Si nous tombons sur ces fichus pirates, je vous jette tous par-dessus bord ! Compris ?!)

— ¡Sí! ¡Sí, Mi Capitán! répondirent plusieurs voix.
(Oui ! Oui, mon Capitaine !)

L'animation redoubla sous le regard sombre d'un individu somme toute particulier, bien incapable d'y prendre part. Dans sa cage solidement suspendue à la proue du bateau et ballottée par les bourrasques incessantes, ses yeux turquoise noyés d'une sclère noire d'encre semblaient tous les maudire, souhaitant que la mer les emporte.

Le capitaine dut sentir toute cette haine qu'il dégageait, car malgré la tempête qui faisait rage, il se retourna dans sa direction et affronta les éléments pour s'approcher à distance raisonnable.

— ¡Estás aquí para protegernos de las calamidades! ¡Cumple con tu deber y disipa los malos presagios para nosotros !
(Tu es là pour nous protéger des calamités ! Fais ton devoir et chasse les mauvais augures pour nous !)

Le prisonnier le fixa avec intensité. Il était jeune. D'aucuns lui auraient donné dans les vingt ans, mais sans doute l'apparence était-elle trompeuse, car l'individu n'avait rien d'humain. Si le haut de son corps rappelait celui d'un bel éphèbe à la peau laiteuse, ses jambes avaient été remplacées par une queue de poisson cousue d'écailles d'un bleu mer profond aux reflets vibrants. Sa longue chevelure était dans les mêmes tons, à cheval entre la couleur de l'émeraude et celle des abysses, et ses doigts palmés, terminés de griffes redoutables, enserraient les barreaux qui le retenaient captif.

— ¿Estás escuchando? ¡Ordena al mar que perdone a mi galeón! El Gran Príncipe sobrevivió a todas las tormentas. ¡Eso no va a cambiar hoy !

(Tu m'écoutes ? Ordonne à la mer d'épargner mon galion ! Le Grand Prince a survécu à toutes les tempêtes. Ce n'est pas aujourd'hui que ça va changer !)

— Pff !

Les lèvres de la créature s'étirèrent en un sourire moqueur. Elle comprenait manifestement ce que l'homme d'une quarantaine d'années, au visage tailladé par quatre cicatrices évoquant des traces de griffures, tentait de lui dire. Malgré cela, elle ne montra aucun signe de coopération. Au contraire, elle se recula dans sa cage et s'installa confortablement sur sa queue, comme s'il s'agissait d'un trône royal. Son intention était claire : elle souhaitait se repaître du spectacle de leur tourment.

La patience du capitaine, déjà fragile, vola en éclats. Cependant, il n'eut pas le temps de s'emporter et de corriger cette audace. Derrière lui, des marins s'écrièrent alarmés :

— ¿ Qué es ?
(Qu'est-ce que c'est ?)

— Hay... una sombra en el agua. ¡Una sombra gigantesca!
(Il y a... une ombre sur l'eau. Une ombre gigantesque !)

— Es un... Es un... ¡ES UN MONSTRUO!
(C'est un... C'est un... C'EST UN MONSTRE !)

Des cris suivirent, poussant le capitaine à abandonner son difficile interlocuteur pour se ruer vers le bastingage et regarder en direction des flots. La vision qui l'accueillit lui fit perdre toutes ses couleurs.

Kêtos - Le Chant du Kraken (BL/MxM)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant