Partie II

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Le temps est joueur. Il joue sur les mœurs et les souvenirs, il glisse sur les corps et les cœurs. Il fait oublier et vivre, de cendre les images colorées se décolorent.

Venti sait qu'il a oublié. Il a peut-être oublié les teintes de ses yeux, les tonalités de ses rires. Il a probablement oublié les courbes de ses yeux et le dégradé de ses cheveux. Eternel est sa vie et pourtant, lui-même peut oublier les détails qui font battre son cœur.

Le sang sur ses mains est toujours visible et pourtant, l'amour se ternit. Le temps est joueur et Venti en souffre silencieusement. Il regarde, de son arbre où il est perché jour et nuit, le monde changer. Il évolue sans lui, sans son aide, sans le vent ; il évolue et tous ses amis sont morts. Il n'a pas essayé de retenir la fatalité ; il l'a laissé faire sans rien dire. Les Déités ont un cœur froid, construit dans la glace. Donner sentiments aux Archons était sûrement une erreur ; brisés par les aléas, Venti ne sait s' ils peuvent encore protéger Teyvat. Peut-être que le monde les a oubliés ; on a enfoui sous des poussières les prières qu'on lui adressait.

Il y a un soupir sur ses lèvres, parce qu'un jour de plus et Zhongli est là, à regarder les nuages danser dans le ciel, assis à ses côtés. Le silence est maître de ces rencontres ; il se joue d'eux au même titre que le Temps. Parler est devenu trop fatiguant, trop douloureux pour le barde ; il n'y a que les pleurs de son cœur qui résonnent, sans jamais tracer son sillage sur sa peau.

Zhongli est une présence presque agréable. Il comprend Venti ; il le comprend sans un mot, sans un regard. S'il s'inquiète pour lui, il n'en montre absolument rien. Venti le remercie chaque jour pour ça. Il sait que la perte est aussi douloureuse pour lui que pour Zhongli ; ils ont perdu des gens qui les faisaient rire et pleurer d'un regard, d'un sourire - ils ont perdu des gens qui étaient les seules raisons d'aimer encore le monde. Ces personnes étaient des lueurs d'espoir dans les souvenirs de sang et d'armes ; ils ont toujours cru qu'ils pouvaient les protéger éternellement. Mais la Mort n'est pas quelque chose contre laquelle on peut être protégé, même en étant éternels.

" Je l'ai revu. "

La voix de Zhongli est éraillée, abîmée par le temps. Il y a des éclats de verre dans ses tonalités, à force de rester muet. Venti manque d'en tomber de son arbre parce qu'il ne se rappelait même pas de la mélancolie de la voix de son vieil ami. Il ne se souvient plus de rien et cette réalité fait battre son cœur tristement. D'un regard, Venti demande de qui il parle - parce qu'il n'en a aucune idée.

" Childe. Je l'ai revu. "

Il y a un silence et Venti se dit qu'il a mal entendu, que ce n'est qu'un songe et qu'il va se réveiller dans son cauchemar habituel. Il ne veut pas y croire ; il ne peut y croire. Zhongli est tombé si bas dans les abysses de son chagrin qu'il avait rêvé de son amour perdu et il faisait seulement espérer Venti. C'est cruel. Il a envie de s'enfuir et de ne plus penser à rien, parce que toute son âme pleure d'un espoir vain.


" Il était là, juste là. Il regardait l'intérieur d'un magasin de jouets - je crois - avec des étoiles dans les yeux. Puis il a tourné la tête pour sourire à quelqu'un qu'il a appelé Teucer - c'était... c'est son frère. Il m'en a parlé des centaines de fois. Je ne peux m'être trompé, Venti. Il était là, à ma portée et je me suis tu, parce que je ne pouvais y croire. Mais c'était lui. C'était sa voix et son regard, c'était ses gestes et ses sourires. C'était lui tout entier et il avait l'air tellement plus heureux, tellement plus vivant qu'avant. "

Et le ciel pleure sur leurs cœurs fatigués.

[...]


Venti erre dans les rues de la ville. Mondstat a changé, depuis la dernière fois ; les rues pavées ont beau rester les mêmes, les bâtiments étaient bien plus hauts. Le pont de la ville donnait sur un autre quartier animé par les rires et les cris des enfants.

Sa tenue habituelle aussi était démodée. Il l'a changé après le troisième regard en biais, la troquant contre une tenue plus... moderne. Bien qu'il n'est pas vraiment à l'aise dans ce crop-top ( il a entendu ce mot en se baladant dans les boutiques de la grande rue ) il se sent un peu moins décalé avec le monde. Il s'est maquillé aussi ; un eye-liner bleu entoure ses yeux, ainsi qu'un peu de rouge à lèvres de la même couleur. Tout est si différent qu'il se demande s'il ne s'est pas trompé de ville, pendant un long moment. Mais il y a toujours le Cat's Tail et le Angel's Share, vivant malgré les changements.

Quand il rentre dans la taverne, il reconnaît tout de suite les cheveux rouges flamboyants qui vole au vent de l'autre côté du comptoir. Il reconnaît le bois des tables et le plancher qui craque sous ses pas. Il reconnaît des visages, des odeurs, des voix qui lui font tourner la tête.

Diluc et Kaeya ont l'air surpris de le voir - Venti a l'air encore plus surpris de les voir parler calmement, des sourires sur les lèvres. Ils ont changé, eux aussi, et Venti espère que c'est pour le mieux.

Il s'approche, commande un Dandelion Wine - heureusement pour lui, le nom n'a pas changé. Et malgré le regard perplexe de Diluc, il lui sert tout de même un verre à pied. Son regard ne le quitte pas un instant, alors que celui de Venti fixe un point invisible sur le mur d'en face. Toute sa joie de vivre et l'air joueur qu'il arborait fièrement avant n'est plus ; il ne reste plus que la mélancolie de son cœur et les pleurs au bord des yeux. Il ne se sent pas à l'aise, sur ce tabouret de bois qu'il a pourtant tant côtoyé dans le passé. Il a l'impression d'être perdu hors du temps. Tout avait été mis en pause dans son âme, à sa mort. Mais le monde, lui, avait continué à se mouver, à vivre et mourir. Si on lui demande, Venti est bien incapable de dire depuis combien de temps il a vécu dans l'état de semi-somnolence de son coeur. Les pensées bien loin de la réalité, il n'entend pas Diluc lui adresser les paroles. Alors il fait quelque chose d'assez bizarre ; il passe ses doigts pour enlever une mèche qui tombait sur le visage de Venti. ( Et il a l'impression de le revoir et il frissonne. )

Absence silencieuseOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz