– J'avais apporté un cadeau, expliqué-je, mais ils me l'ont confisqué. Il faudra attendre la prochaine fois, mais tu vas aimer.

– Je n'ai pas besoin de cadeau. Tes visites me suffisent, tu sais ?

– Du coup, je n'ai rien de spécial par rapport à d'habitude, continué-je sans relever sa remarque. Il n'y a que les deux cents dollars que j'ai mis sur ton compte...

– Finn, me réprimande-t‑elle avec douceur.

Elle pose sa main sur la mienne.

– Ce n'est pas à toi de t'occuper de moi. Cet argent, vas-tu finir par me dire d'où il vient ?

– Ne t'en fais pas pour ça, maman. 

Comme elle insiste, j'essaie d'esquiver :

– J'ai toujours mon petit boulot, tu sais. Et puis, comme je ne manque de rien dans la famille où je suis, je préfère m'assurer que tu es bien ici.

Elle m'écoute sans rien dire, en me dévisageant d'un air pensif et préoccupé. Je sais qu'elle n'est pas dupe. Remarquant ce qu'il reste de l'hématome au-dessus de mon oeil, elle passe ses doigts sur mon arcade sourcilière.

J'ai réussi à la balader au début, avant que tout ce bordel ne nous tombe dessus, avant qu'elle ne se retrouve derrière les barreaux. Ce n'est pas pour l'argent que j'ai commencé les combats mais, aujourd'hui, l'aider avec ce que je remporte en me faisant casser la gueule me permet de me sentir moins coupable.

Et puis, quand je reçois des coups, que mon corps se couvre d'ecchymoses, ça me rappelle que je suis vivant... Même si, à l'intérieur, j'ai l'impression qu'il ne reste plus rien. Mais tout ça, je ne peux pas le dire à ma mère.

– Parle-moi de ton petit boulot, me relance-t‑elle. Comment ça se passe ?

– Très bien, ne t'inquiète pas.

– Et l'école ?

Nous y voilà. Je ne dis rien, pas besoin. Je devine à son regard qu'elle sait déjà tout.

– T'es au courant, j'imagine ?

– Oui, mon coeur, je suis au courant. Tu as toujours été bon à l'école, ce n'est qu'une mauvaise passe. Tu ne peux pas continuer comme ça, il faut penser à ton avenir.

– L'année a été compliquée, mais ça va mieux, maintenant.

Elle caresse ma main, et ce simple geste suffit à ébranler une partie de ma carapace.

– Je sais que ce n'est pas facile, Finn, mais ne le laisse pas gagner, d'accord ? Mme Merrigold m'a dit que tu n'allais plus chez le psy ? C'est important, ce serait bien que tu y retournes. Tu n'es pas obligé de lui raconter tout ce qui s'est passé, mais exprimer ta colère avec le médecin t'aiderait à mieux la contrôler.

J'ai l'impression de m'enliser dans cette conversation, car je n'ai tenu aucune des promesses que je lui avais faites. Alors, je mens. Je mens parce que c'est tout ce qui me reste pour la rassurer.

– Mme Merrigold dramatise, tu sais. C'est juste que je suis sorti deux fois après mon couvre-feu et elle panique. Tout va bien, je t'assure. Tout va mieux.

– Finn...

– Maman, je t'assure que ça va bien, maintenant. La dernière famille d'accueil est sympa et je m'entends bien avec leur fille, Lucy. Je te jure, ça va. T'as pas à t'inquiéter pour moi.

– Tu es sûr de ça ?

Cette fois, l'angoisse fait remonter la bile dans ma gorge. Elle sait quelque chose que j'ignore. Je le comprends à l'intonation de sa voix. Je le vois à l'expression de son visage.

– Écoute, trésor, il n'y a pas de bonne manière de te l'annoncer, mais...

Mon coeur se serre avant même d'entendre la suite.

– ... tu vas devoir déménager. Ils ont demandé que tu sois placé dans une autre famille, et je pense que ce serait bien si tu allais vivre chez ton oncle Cliff.

J'accuse le coup, mais je suis incapable de répondre quoi que ce soit.

– On se verra moins souvent, mais je suis sûre que ça te fera du bien. Tu seras avec quelqu'un que tu connais. J'en ai parlé avec Mme...

Je ne l'écoute plus.

Je veux qu'elle se taise.

Je vais me réveiller.

C'est un cauchemar.

– Non, maman !

Un écho résonne et je réalise, au bout d'une seconde, que c'est celui de ma propre voix. J'ai haussé le ton sans le vouloir. La cacophonie autour de nous s'est interrompue et tous les yeux sont désormais rivés sur moi. Je baisse la tête pour qu'ils ne voient pas mes larmes.

Je ne peux pas partir si loin de ma mère. C'est hors de question. Elle est mon dernier repère sur cette putain de terre, la seule raison qui me pousse à me lever le matin. Elle ne peut pas m'envoyer là-bas... C'est à plus de cinq cents kilomètres de Houston, à plus de cinq heures et demie de voiture, et en bus, je préfère ne pas y penser.

C'est à La Nouvelle-Orléans.


La nuit où les étoiles se sont éteintesحيث تعيش القصص. اكتشف الآن