Chapitre 9

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La nuit avait été courte. Notre échange avec Henri s'était poursuivi quelques instants, le temps pour nous d'évoquer d'autres sujets plus légers. Puis, épuisé par sa journée de labeur et son exceptionnelle performance de la veille, le jeune homme finit par se laisser engloutir par le sommeil. La jeune femme pouvait être considérée comme un poids plume mais transporter plusieurs dizaines de kilos inertes sur plusieurs kilomètres tout en conservant son équilibre et un minimum de discrétion relevait de l'exploit. Je ne saurais précisément dire à quel moment mon invitée avait rejoint Morphée mais j'étais sûr d'une chose : elle nous avait attentivement écouté jusqu'à son départ et certaines informations l'avaient suffisamment surprise pour qu'elle baisse très légèrement la garde. L'inconnue était certes sur la défensive mais également à la recherche d'informations. Seules ses motivations m'échappaient.

Le silence de mon appartement, uniquement brisé par les rares ronflements d'Henri, me permit de me perdre dans mes pensées. Peut-être ai-je également somnolé. Je songeais à la singularité de la situation, faisais des hypothèses sur l'identité de la personne et sur son histoire, sur les modalités d'assistance dont elle avait manifestement besoin... Son attitude m'évoquait le vague souvenir d'un homme que j'avais également hébergé et qui était devenu avec le temps un ami très cher. Lors de notre rencontre, il était tout aussi agité et méfiant, tenant des propos incohérents concernant un changement d'époque. Avec le temps, nous étions devenus des amis très proches, malgré ses fréquentes disparitions. Pendant quelques semaines, nos quotidiens étaient rythmés par des débats, des parties de cartes, de l'ivresse, des promenades et des dîners puis du jour au lendemain, il disparaissait sans laisser d'adresse. Puis il réapparaissait, le visage fendu d'un sourire moqueur, sans fournir d'explications. Un jour vint cependant où, lassé par cette instabilité, je demandai des comptes ce qui nous conduit à nous brouiller. Mon vieil ami avança de nouveau le prétexte de voyage dans le temps et dans un mouvement de colère, je le chassai de chez moi, agacé par tant de mensonges. Je n'eus plus de nouvelles pendant plusieurs semaines jusqu'au jour où il se présenta à mon domicile, portant un paquet contenant un ouvrage rédigé bien après l'année en cours. Je n'eus alors pas d'autres choix que de croire et ce fut le début d'une longue tradition : à chaque retour de voyage, un manuscrit d'une époque différente voire d'un pays différent et toujours ce sourire d'enfant taquin. Au fil des années, notre lien s'étiolait parfois, en raison des divers événements de la vie et d'autres problématiques sociétales. Mais il finissait toujours par réapparaître. Cependant, voilà des années que ce n'avait pas été le cas et j'avais la conviction que mon cher ami était mort. 

J'étais perdu dans les souvenirs de notre camaraderie passée lorsque je fus surpris par un grognement dans la pièce d'à côté : Henri émergeait, hébété. Je n'avais pas remarqué que la lumière du soleil levant commençait à filtrer malgré la saleté accumulée sur les vitres. Souhaitant honorer ma promesse auprès du jeune garçon, je me levais immédiatement mais avec délicatesse par respect pour mes vieux os. Le temps d'enfiler mes vêtements de la veille et de rejoindre le salon, je trouvai Henri prêt à partir, massant une dernière fois ses muscles endoloris. L'inconfort de dormir à même le sol n'avait certainement pas permis à ces derniers de récupérer correctement. D'un commun accord muet, nous avons décidé de ne pas préparer de café afin de laisser la jeune femme, encore profondément endormie, tranquille. Ses cheveux étaient flamboyants à la lumière du jour et son teint paraissait encore plus pâle que la veille. Son drap de fortune était toujours en place sur son corps recroquevillé. Elle non plus n'échapperait pas aux courbatures à son réveil. 

En quittant l'appartement, je pris soin de fermer la porte à clé. Non pas que je voulais retenir une inconnue en petite tenue prisonnière mais j'avais des questions à lui poser, tant pour satisfaire ma curiosité que pour m'assurer de sa sécurité et de la mienne.

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