DIMANCHE 4 / 17 HEURES 25

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Mettez-vous trois secondes à la place de Louis. En proposant à Ninon d'aller passer le week-end de Pâques dans sa famille, il espérait une simple présentation officielle. Bonjour maman, bonjour papa, voici Ninon. Ils auraient bien mangé, trop bu, chassé des œufs. Après ça, ils seraient rentrés chez eux, Louis aurait repris ses cours en visioconférence et Ninon l'arrosage de ses plantes.

À la place, il se trouvait empêtré dans une histoire digne d'un soap opéra. Ninon s'était enfermé dans la voiture, refusant de sortir ou de parler à qui que ce soit. Elle avait traité sa mère de « pire des connes » en plein dans l'allée, et avait planté Louis dans l'entrée. Les bras ballants, pris d'un embarras sans égal, il avait souri à la mère – bien vivante ! Et quoique rabougrie, elle semblait en pleine forme. Quoi faire d'autre ? Il trouvait l'affaire tordue, mais ne pouvait pas crier sur cette femme, il ne la connaissait pas, et c'était la mère de Ninon.

Louis se racla la gorge et tendit la main :

― Vous devez être la maman de Ninon. Enchanté, je suis...

― Attention ! Covid !

― Ah... oui.

Gêné, Louis essuya sa main moite contre son pantalon. Le geste ne servait à rien. La mère de Ninon fit volte-face et disparut dans l'ombre des couloirs, à l'intérieur. La porte d'entrée resta séante, Louis, sur le seuil, n'avait aucune idée de ce qu'il était censé faire. Elle ne l'avait pas invitée à entrer, elle ne l'avait même pas laissé se présenter. Et Ninon qui était toujours dans la voiture. Quelque en Louis lui intimait de reprendre le volant et se barrer au plus vite d'ici. Les problèmes les attendaient de l'autre côté de cette porte...

Quelqu'un apparut au bout du couloir, un homme cette fois. Il avait la stature d'un bodybuilder et une gueule à faire la une des magazines. La trentaine, même pas. Il portait des lunettes de soleil et une casquette de baseball. Il se planta dans l'entrée et scruta le paysage du regard, considérant à peine Louis.

― Elle est dans la voiture ?

Le « oui » de Louis s'étrangla dans sa bouche, un son aigu le remplaça, comme s'il n'avait pas encore mué. Le mastodonte fonça sur la Clio verte et tambourina au carreau du siège passager. Dans tout ça, Louis ne savait que faire de son corps.

― Allez, Ninon, criait le gars. Ouvre la porte ! Elle m'a eue, moi aussi. Elle m'a fait le même coup. Tu la connais, elle fait juste ça pour avoir de l'attention. Ça sert à rien de te braquer.

Ninon ne bronchait pas. Le type frappait sur le toit de la voiture pour l'y encourager, le sang de Louis se glaça. Avec des biceps comme les siens, il aurait pu lui tordre sa carrosserie. La chaleur de fin d'après-midi faisait perler une goutte de sueur à la naissance de son front, ou bien peut-être était-ce le stress de ce spectacle invraisemblable ? Louis blaguait sur le fait qu'il ne réfléchissait pas beaucoup ; à ce moment, aucune pensée ne savait se formaliser. Louis était en état de mort cérébrale, bouche bée et yeux secs de ne plus cligner.

― Ninon, sérieux... Vois le bon côté des choses, toute la famille est réunie. Même papa est là. Tu vas pas faire la tronche quand même ?

Il y avait une blague parmi les étudiants de psychologie ; c'était, dans une situation rocambolesque, de se demander ce que Freud en penserait. Souvent on répondait par un : « Il dirait que tu as envie de coucher avec ta mère. » parce que Freud avait eu beau faire de grandes théories, il avait les raccourcis faciles. Louis se demanda sérieusement ce que Freud dirait de ce bazar.

Des gens avaient pété les plombs pour moins que ça. Si la seule réaction de Ninon en apprenant que sa mère avait contrefait sa mort était de s'emmurer dans un mutisme, Louis la trouvait bien saine d'esprit...

L'écumeOnde histórias criam vida. Descubra agora