𝟽 | 𝚜𝚎𝚙𝚝

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Bonne lecture !

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Il ne lui reste plus que quatre mois. Seize semaines. Quatre-vingts jours.

Dans 640 heures de cours, il sera enfin diplômé du lycée et pourra avoir la chance de faire autre chose. N'importe quoi, tant qu'il peut utiliser son cerveau pour faire autre chose que des maths basiques, de la littérature ennuyeuse, ou encore de l'histoire vue et revue. Aujourd'hui, la conseillère d'orientation lui a présenté les universités lui proposant une bourse d'études, et il y en a bien plus que Spencer l'aurait cru.

C'est ce qu'il raconte à Marc et George, alors qu'il joue sur deux échiquiers en simultané. Marc va perdre en six coups, et George en sept, d'après ses calculs.

Spencer ne peut s'empêcher de sourire : un petit sourire discret et innocent, qui fait rougir ses joues.

— Et alors, tu sais ce que tu vas faire ?

Ils l'ont écouté parler sans même l'interrompre, presque ravis. Il y a toute une bande dans ce parc : Marc et George, bien sûr, mais aussi Lucienne, la femme muette, et John, l'ancien commercial, et Daren, le professeur de sociologie qui a perdu sa maison dans un incendie. Pour certains, ce n'est que temporaire, mais pour Spencer c'est un peu plus que ça : ces visages, ces noms, ces informations, il ne sera jamais capable de les oublier.

Spencer secoue la tête et bouge sa dame, avant de se tourner vers l'autre plateau.

— Non, je sais pas. Pas encore. Les inscriptions vont bientôt commencer, mais... mais je peux pas seulement penser à moi.

— Pourquoi ça, bonhomme ?

Marc se concentre. Spencer se mord la lèvre.

— Ma maman.

— Oh.

Il ne leur a pas dit. Pas vraiment, en tout cas, pas directement : pas « ma maman est malade » ou encore « ma maman souffre de schizophrénie paranoïde ». Il ne le dit pas à voix haute, déjà car ça rend la chose bien trop réelle, mais aussi car aussitôt on commence à le regarder avec une expression désolée et attendrie, une sorte de « oh, mon pauvre garçon ».

Pauvre garçon, comme si sa mère n'est pas la plus merveilleuse des personnes en ce monde, comme s'il elle ne vaut pas chacun de leurs cerveaux en bon état et pourtant si méprisants et méchants et dégoûtants.

La plupart des gens sont dégoûtants. Sa maman, elle, lui lit de la poésie tous les soirs et essaye tellement fort d'être celle dont il a besoin. Il est là quand elle a besoin de lui, et elle essaye de l'être quand lui a besoin d'elle.

C'est aussi simple que ça.

Il n'est pas un pauvre garçon. Pas à la maison : elle est malade, ce n'est pas sa faute.

— Je peux pas partir trop loin. (Il bouge son fou, puis se tourne dans l'autre sens) Si je pars trop loin... elle ne peut pas me voir partir.

Il ne peut pas l'abandonner.

— Mais ce grand cerveau que t'as, petit, faut bien l'utiliser, non ?

— Oui. Oui, mais...

Il déglutit.

— Aucune fac assez proche ne m'a proposé de bourse. Il me faudrait un internat.

Sa main frôle une pièce, puis bouge un peu sur la gauche et en attrape une autre. Lucienne tire une chaise pour s'asseoir à côté de lui : son manteau n'a pas l'air assez épais pour la saison, et ses cheveux sont bien trop fins.

— Je peux pas aller à l'internat. Plus personne ne sera là pour l'écouter lire les poèmes de Christina Rossetti quand elle se sent mal, ou pour lui réchauffer sa soupe, ou pour sonner chez la voisine s'il y a un problème.

Il ne relève pas la tête, car Spencer sait que des regards curieux et un peu tristes viennent de se poser sur lui.

— En plus, le propriétaire nous fait une réduction sur le loyer parce que je l'aide à gagner à ses soirées poker chaque semaine : si je suis plus là il risque de le remonter, et alors la pension de mon père sera plus suffisante et...

Sa lèvre tremble. La fin du lycée, qu'il aura terminé en deux ans (la principale l'a obligé à passer les examens en même temps que les autres, pour ne pas prendre trop d'avance) ne semble plus si incroyable que ça.

Parfois, il voudrait juste pouvoir prendre sa mère et l'emmener avec lui dans sa poche.

— Échec et mat, dit-il à Marc.

Il lui offre un petit sourire penaud, tandis que ce dernier grogne en s'enfonçant dans sa chaise. L'air est froid en ce moment, le printemps tarde à arriver : il garde ses vieux pulls usés et trop grands, son épais manteau.

George renifle en croisant ses bras sur son torse. Étonnement, son prochain coup contrarie celui de Spencer et il hausse un sourcil.

— Je te vois venir, petit. Tu ne m'auras pas comme ça.

— Spencer ? Tu vas trouver une solution, d'accord ? Chaque problème a une solution.

Et même si Spencer sourit timidement, il ne peut s'empêcher de se dire que ce conseil est ridicule et douloureux, venant de quelqu'un qui vit dans la rue et joue aux échecs avec un gamin trop doué pour son bien.

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Des bisous !

Vaste est l'horizon || Spencer ReidHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin