Celles qui brillent

Chapitre 2

« Savais-tu que dans l'Antiquité, tant que l'humanité était cantonnée à la Terre, avant qu'elle ne colonise le système solaire, c'étaient les hommes qui avaient le pouvoir.

- Ridicule, répond Ald. Comment une société pourrait évoluer sans la vision féminine ? Comment une société peut-elle être juste sans la probité des femmes ? Pire, comment imaginer l'humanité dirigée par les passions violentes des hommes ?

- Et pourtant... C'est la nouvelle théorie en vogue parmi nos historiens. Ils se basent notamment sur des recherches linguistiques. Tu vois, nos plus grands linguistes se sont toujours demandés pourquoi nous disons « Hommes » pour parler de l'humanité.

- Tout le monde sait que c'est une façon pour les femmes de se moquer de nous, elles flattent notre vanité pour que nous ne nous sentions pas inutiles dans la société.

- C'est la théorie populaire, dit Grand-Père. Mais avec l'âge on finit par se rendre compte que les femmes ne sont pas moins vaniteuses que les hommes. Alors pourquoi auraient-elles donné aux hommes ce mot si important ? »

Ald regarde sur son écran mural les étoiles qui brillent à l'extérieur du vaisseau. Les boules de feu posées sur le tissu de l'espace l'aident toujours à réfléchir. Il aperçoit un point brillant qui se déplace au milieu des étoiles immobiles. Cela doit être leur destination : la station orbitale terrestre.

« Si les hommes avaient le pouvoir avant la colonisation, cela veut dire que les femmes leur ont pris ce pouvoir, raisonne-t-il.

- Exactement, reprend Grand-Père. Sois heureux qu'elles ne cherchent pas à utiliser tout leur pouvoir. Car si elles ont pu prendre le pouvoir aux hommes, essaie d'imaginer à quel point leur pouvoir est encore plus formidable que celui que l'on voit. »

L'énorme vaisseau qui transporte Ald et son grand-père déploie ses immenses voiles et appelle la station orbitale de la Terre. En réponse, un faisceau de lumière vient frapper le micro-textile et le vaisseau commence à freiner. Tous les passagers sont assis dans le module de freinage mais malgré les énormes amortisseurs dont est doté ce module, la décélération est brutale et les corps encaissent un choc terrible. Ald se souvient que l'accélération avait été une véritable torture. Mais soit les deux ans de trajet en avait atténué la redoutable souffrance, soit la décélération est beaucoup plus dure.

Un voyage spatial ne se fait pas sans une excellente raison. Outre les chocs de début et de fin de voyage ainsi que les risques liés au bombardement continuel de radiations, le temps moyen d'un trajet suffit à décourager la plupart des aventuriers en herbe.

Pour Ald et Grand-Père, c'est une offre de mariage qui a rendu le voyage nécessaire. La mère d'Ald, matriarche de sa famille, était décédée dans un accident spatial quand il avait 11 ans, laissant Ald et son Grand-Père comme derniers représentants de la famille. Bien qu'à la tête d'une immense fortune, il n'est pas aisé pour deux hommes de trouver leur place dans ce monde de femmes. Le salut est venu d'une famille de la haute aristocratie sur Terre dont les dettes ne pouvaient plus être ignorées et qui a donc choisi d'unir son unique héritière à une grosse fortune. Ald avait 13 ans à l'époque et il vivait sur Encelade, l'une des lunes de Saturne, perle de la colonisation humaine et, certains disent, dernière enclave civilisée d'un système solaire tombé dans le chaos.

Grand-Père a alors affrété un vaisseau de transport pour retourner sur Terre. Mais un tel voyage coûte immensément cher. Il avait fallu attendre deux ans avant de trouver la centaine de milliers de passagers qui rendrait le voyage rentable. Il n'y a pas beaucoup de personnes qui sont prêtes à retourner tenter leur chance sur la Terre, mais Ald et Grand-Père ne viennent pas d'une famille de marchands pour rien et il est hors de question de laisser passer l'occasion de faire un profit. C'est un dicton familial d'après Grand-Père.