La Miraculée

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Cela fait déjà deux mois qu'elle nous a quittés. Sa mort nous a tous bouleversés et détruits; Jack ne sort plus de chez lui, alors qu'il a toujours été très sociable et heureux de vivre, Anne peine à s'occuper de Henri, son nouveau-né... Le pauvre petit, il n'aura jamais eu l'occasion de vraiment connaître sa tante. C'était une femme remarquable, Dieu sait qu'elle aurait fait une marraine parfaite, si nous ne avait pas été arrachée..

Et puis, il y a Watson, qui était son frère. Il est probablement celui qui est le plus atteint par ce drame, d'ailleurs. Les deux avaient toujours été très proches. Vraiment proches. Il était difficile de les séparer, que ce soit durant une discussion, un fou rire, un conflit, ou même la moindre petite connerie qui leur venait à l'esprit. A eux deux, ils étaient en quelque sorte les animateurs de notre groupe. Et, quand bien même nous avons toujours été soudés et proches, sans eux — sans elle... rien n'est plus pareil. Plus rien n'en vaut vraiment la peine. Plus rien ne justifie de rire, de sourire. De vivre. Quand son âme a quitté ce monde, elle a emporté les nôtres dans sa route.

- Dites-moi, vous ne faites que parler de vos amis, mais, qu'en est-il de vous ? Après tout, cela a été tout aussi difficile pour vous; d'autant plus que vous l'avez vu—"

Je me crispais en entendant cela, connaissant d'avance la fin de sa phrase. "Vous l'avez vu sauter."

Deux mois se sont écoulés depuis qu'elle nous a quittés, pourtant, chaque nuit, je la revois. Cette horreur, ce cauchemar, même en fermant les yeux je les revois. Son téléphone, introuvable jusque-là, qu'elle lâche alors qu'elle m'adresse ses dernières paroles, ses pieds quittant le sol, les passants dans la rue, paniqués, ne sachant comment réagir, ses bras grands ouverts alors qu'elle embrasse la mort, et ses longs cheveux dont la chute et le soleil leurs donnent l'apparence d'un auréole. Oui, elle saute, tel un ange descendant en enfers, nous emportant tous avec lui. Et, moi, paniqué et terrifié, je m'élance vers elle, hurlant à plein poumons. Sa chute se fait en un éclair, et, avant même que je ne puisse accomplir quoi que ce soit, nous arrivons en enfer. Son sang gicle sur mon visage, mon écharpe et mon pull, mes gants, et je le sens les traverser en un instant, se poser sur ma peau et la déchirer sauvagement afin d'emporter mon âme. Puis, mes yeux, refusant de d'obéir, se portent sur elle. Elle est maculée de sang. Son auréole, brisée, flotte dans le sang impur recouvrant le sol sous mes pieds. Sa montre, cadeau de sa tante, détruite sous le choc, trempe elle aussi la mer de sang, aux côtés d'un de ses faux ongles. Même son sac à main, pourtant d'un rouge profond, prend la couleur du sang.

Ces images, marquées au fer rouge dans mon esprit, ne me quitteront probablement jamais. Je le sais.

"Camille. Camille !"

Ces appels me font sortir de ma torpeur. Je reviens à moi et me souviens de la situation; je suis toujours assis devant ma psychologue, Mme Erin, qui m'observe, soucieuse, et, encore une fois, ce cauchemar venait de reprendre le dessus sur moi.

"Je vous ai perdu, n'est-ce pas ?"

Je sens mes mains et mes jambes trembler, mon cœur battre à toute allure. Hésitant, je hoche lentement la tête .

"Comment vous sentez-vous ?

– Je... Je ne sais pas."

Elle pose alors son bloc-note sur la table devant elle, et soupire.

"Écoutez. Je ne doute pas de l'impact qu'a eu l'incident sur la vie et l'état de santé de vos amis, et je ne doute pas de l'impact de leurs états sur le vôtre, mais, vous, comment vivez-vous cet accident ? Après tout, vous n'avez fait que parler d'eux, mais pas le moindre mot ne parlait de vous.

– Je... Je ne sais pas. Je.. Je vais bien, je crois."

A son visage, je perçois qu'elle n'y croit pas une seule seconde. Un blanc s'installe alors. Gêné, je ne cesse de regarder partout autour de moi. Après quelques secondes, elle reprend.

"Puisqu'elle et vous étiez dans un même groupe d'amis, je peux en conclure que vous étiez, tout de même, ne serait-ce qu'un minimum, mroches, n'est-ce pas ?"

J'hoche la tête à nouveau.

"Cette amie, vous manque-t-elle ?

Encore, j'hoche la tête affirmativement.

"Très bien. Dans ce cas, que faites-vous lorsque vous sentez ce vide qu'elle a laissé derrière elle vous ronger ?

– Eh bien... N'ayant pas vraiment de souvenirs de sa part, je..."

Je sors mon téléphone de ma poche et le montre, gêné.

"Je l'appelle, et écoute le son de sa voix via son répondeur."

C'est une habitude que j'ai prise le lendemain de sa mort. En premier lieu, je devais attendre la fin de la sonnerie pour avoir le répondeur, me laissant penser que son téléphone avait encore de la batterie, mais qu'il s'était éteint peu après, puisque il ne fallut que quelques jours avant que la messagerie ne me prenne de suite lorsque j'appelle.

"Et, cela vous apaise-t-il ?

– Oui.

– Pourriez-vous me montrer ?"

A ses mots, mon regard se porte sur l'appareil entre mes mains. Hésitant, je compose le numéro, m'attendant à ce que le répondeur s'active aussi vite. Mais, à mon grand étonnement, la sonnerie ne coupe pas. Et, après quatre à cinq secondes, quelqu'un décroche.

"Oui allô ?"

Mes yeux s'écarquillent. Je connais cette voix. Tremblant, je mets mon téléphone à l' oreille.

"Allô ? Qui êtes-vous ?"

– E-Ena... C'est toi... ?

– C'est bien moi, oui. Que puis-je faire pour vous ?"

La Miraculée , Intro, Fin.

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⏰ Last updated: Feb 04, 2021 ⏰

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