Azincourt

54 13 0
                                    

Hélène entendait à peine ce que le Pénitent lui disait, tant son cœur battait fort. Pourquoi il ne cessait pas son boniment ? Elle était prise au piège ; ce n'est pas comme si elle allait sauter de la voiture en marche.

Elle songea qu'il était encore possible de fuir. Les mains du Pénitent ne tenaient que péniblement le volant ; elles tremblaient, et la peau qui les recouvrait s'enfonçait entre les os. Il était plus mort que vif. Si elle l'attaquait à l'improviste, qu'elle lui crevait les yeux avec ses ongles, elle pouvait se tirer d'affaire. Mais se battre, fuir, c'était abandonner Guenièvre.

Ils avaient déjà quitté la zone habitée de la cité. Les réverbères éteints se perdaient dans le feuillage. Lire le nom des rues était difficile dans cette obscurité. Elle ne devait en retenir qu'un seul, mais elle ne pouvait savoir d'avance lequel ce serait, alors elle creusait du regard les plaques envahies par le lierre, dissimulées par la nuit, effacées par toute la pluie qui était tombée depuis l'Apocalypse.

« Nous y sommes bientôt ?

— Ce ne sera plus très long. »

Il semblait plus effrayé qu'elle. Elle se demandait comment il la voyait. Comme une dangereuse pécheresse, la putain de Babylone ? Ou simplement comme son prochain repas ? Il avait si faim qu'elle avait presque peur qu'il ne s'évanouisse avant d'arriver à destination. Il était si affaibli qu'elle pourrait sans peine le repousser. Quand ils descendraient, elle tenterait de lui fausser compagnie. Tout ce qu'il lui fallait, c'était l'adresse.

Ils passèrent devant un autre nom de rue. Dans le feuillage, elle ne parvint pas à le distinguer.

« Où allons-nous ?

— Chez moi. Tu n'avais pas compris ?

— Si. Mais c'est sur quelle rue, chez toi ?

— Hum ? La rue Azincourt.

— C'est près de Waterloo ?

— Sais pas. Je ne crois pas. Je ne connais pas la rue Waterloo. »

Hélène ne répondit rien et continua à surveiller les noms. Le type avait-il menti ? Il n'avait pas l'esprit très vif ; pas assez, en tout cas, pour saisir ses allusions historiques.

La boule dure qui lui serrait le cœur menaçait maintenant de l'étrangler. Qu'est-ce qui lui permettait de croire que Michel vérifierait sa boîte vocale en pleine nuit ? Ou, s'il le faisait, serait-il même capable de la retrouver, avec son pouvoir ? Il semblait si mal en point, la dernière fois qu'elle l'avait vu. Après avoir laissé son message, elle n'avait plus insisté, un peu parce qu'elle craignait qu'il ne parvienne à la détourner de son dessein. C'était bête, c'était idiot et c'était suicidaire. Dans le meilleur cas, Michel dormait. Et elle, serait-elle toujours vivante le lendemain matin ?

Elle sortit son portable. Une dernière tentative, ça valait d'être joué.

« Hé ! Qu'est-ce que tu fais ?

— J'envoie un message à un ami. Ça ne sera pas long.

— Lâche ça ! »

Elle sentit une chaleur cuisante à son poignet, et son portable glissa de ses mains. Il lui fallut une seconde avant de se rendre compte qu'il avait frappé sa main, et que la peau de ses bras était écorchée par ses ongles. La force du coup l'avait surprise.

« Désolé. Tu vas comprendre pourquoi dans une seconde. »

Hélène ne trouvait rien à dire. Brièvement, dans la lueur des phares, un nom apparut. Azincourt.

À ses pieds, l'écran lumineux de son portable la tentait. Elle se pencha dans un mouvement de panique pour le rattraper. Elle n'était qu'à quelques mètres de Guenièvre et de son destin. Ses idées de fuites étaient paralysées, coincées dans la glace. Elle n'avait que le temps et la force de lancer un dernier appel. Ses doigts saisirent l'appareil. Sur son cou, elle sentit la caresse d'une lame acérée.

Myriam et le Cercle de ferWhere stories live. Discover now