Leur sang m'appartient

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La façade, encore délabrée, venait d'être repeinte ; c'était une tentative maladroite de cacher les graffiti qui la couvraient ; la peinture jaunâtre, pâle et bon marché laissait voir les inscriptions lapidaires. « Sorciers » et « Satan » revenaient souvent. Michel ne s'attarda pas. Par miracle, la nouvelle vitrine, qui ne possédait pas encore de volet d'acier, était restée intacte. Ce n'était pourtant pas les débris qui manquaient ; malgré leurs efforts, la place était parsemée de morceaux de brique. On voyait toutefois que ses amis avaient en hâte gratté la peinture.

Quand il entra, ils cessèrent tous leurs activités pour le regarder. Ils étaient tous là, avec en plus l'ancien propriétaire, venu constater l'avancement des travaux.

Et quels travaux ! Ses amis avaient fait de leur mieux pour monter une boutique présentable à même la carcasse ravagée, tranchant à la scie le bois calciné, brossant la brique pour en enlever la fumée. Les fils électriques pendaient encore, on voyait la tuyauterie serpenter au plafond, mais cet aspect rustique plaisait à Michel. Il les remercia d'un sourire.

Ils avaient déjà monté des rayons, des livres tout neufs déposés sur des étagères anciennes, sans doute récupérés dans l'une des centaines de maisons abandonnées qui ceinturaient la cité. « Une commande est arrivée en avance », expliqua Hélène.

« Vous avez des amis dévoués », commenta Alfred. « J'ignore comment vous êtes parvenu à obtenir le permis d'opération, mais je souhaite de tout cœur que cela suffise. »

Michel cachait mal son impatience. Il s'en voulait un peu, face à tant de dévouement, de ne penser qu'à Myriam. Maintenant qu'il avait bu son ichor une deuxième fois, elle allait sans doute bénéficier d'un sursis de la part de son maître. Il ne lui restait peut-être que quelques jours pour sauver son existence.

— Et les Pénitents ?

— Des jeunes nous ont observés aujourd'hui, dit Alfred. Ils étaient maigres à faire peur. Ils étaient plantés au milieu de la falaise, et nous ne les avons repérés que par hasard. Si ça se trouve, ils étaient là depuis des heures.

— Peut-être viendront-ils ce soir, ou peut-être pas. »

Michel ne pouvait plus se permettre de perdre une seule nuit.

« Et vous avez demandé la protection de la police ?

— Si, répondit Hélène. Ça n'a pas été concluant.

— Une partie de la police est d'accord avec les milices, reprit Alfred. Le racisme y est davantage la règle que l'exception, et les Pénitents attaquent surtout les étrangers. D'autres policiers sont simplement trop lâches. En vérité, ils sont débordés de partout. »Un coup de sifflet strident trancha net ces réflexions, si fort que Michel crut un moment perdre l'ouïe. Tous se retournèrent, regardant la porte entrouverte de l'arrière-boutique, mais ils ne virent que l'ombre et l'immobilité.

« Ça venait de derrière...

— Ils ont bloqué la sortie de secours, commenta le libraire. C'est un signal. »

Michel approuva gravement de la tête.

« Il a une fenêtre qui donne sur la falaise, dit Hélène. Avec l'aide de Michel, nous pourrions grimper sur les immeubles voisins. À partir de là, les toits communiquent jusqu'à l'opéra Aquilinie. »

« Non », murmura Michel. « J'en ai marre. Fuyez si vous le pouvez, je vais tuer tous ceux qui approchent.

— Michel, viens avec nous, supplia Hélène.

— J'en ai le droit ! Je suis un Berger, ce sont des pécheurs. Ils ont prémédité le meurtre d'innocents ; ils ont même bloqué la sortie de secours. Leur sang m'appartient.

— On ne sait pas encore si la sortie est vraiment bloquée. Et ils seront nombreux. Ils auront des cocktails Molotov. »

C'était cela qui inquiétait Hélène. Elle avait bien appris ses leçons ; le feu était une des trois manières de détruire un vampire. Mais Michel ne l'écoutait pas. Il sortit, empoignant sa canne-épée de sa main gauche, juste sous la garde, puis il se pencha, ramassant de la droite un morceau de brique.

Myriam et le Cercle de ferWhere stories live. Discover now