6# -Comment le monde meurt (1)

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Ceci est une rédaction que j'avais à faire en français, la consigne étant : "Écrire une nouvelle écologique racontant comment les humains ont causé la destruction de leur propre espèce", et comme ça un petit rapport avec la torture... ;)

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Un jour, le nombre d'humains sur Terre dépassa les dix milliards.

Un jour, il n'y eut plus assez de ressources pour subvenir aux besoins de chacun.

Un jour, le besoin le plus primaire de l'homme devint impossible à satisfaire.

Un jour, la race humaine fut décimée.

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Jeanette était assise à la table de la cuisine, ses jambes d'enfant frêles croisées. Elle arborait une expression placide, mais dans son regard sombre luisait encore une étincelle de détermination. Son visage était émacié, ses traits tirés, mais elle n'avait cependant rien perdu de sa beauté. Elle leva des yeux tristes vers sa mère.

- Désolé, chérie, mais tu te passeras de petit-déjeuner aujourd'hui aussi. Ton père n'a pas mangé cette semaine.

Le gargouillement plaintif de l'estomac vide de la petite fille lui répondit. C'était le seul bruit qui émanait d'elle ces derniers temps, comme si parler la fatiguait. Sa mère ne put que lui rendre son regard, impuissante. Il y avait longtemps qu'ils avaient mangé le chat. Jeanette n'avait pas pleuré lorsque son père l'avait servi en rôti. Elle savait qu'ils n'avaient pas d'autres choix et qu'il n'avait pas souffert : un comprimé et c'était tout.

Mais elle haïssait ce comprimé. L'État en avait fait distribuer à tous les habitants de France, au cas où la faim en deviendrait trop insupportable. La voisine s'en était déjà servi. L'enfant avait vu son corps disparaître dans une voiture blanche. Elle avait surpris bien des fois son père contempler la pilule blanche durant des heures, les yeux ternes, comme s'il hésitait à en finir. Cette image avait ébranlé sa fille, qui n'avait pourtant pas dit un mot à ce sujet, par peur d'inquiéter sa mère qui s'en faisait déjà beaucoup à propos de son mari. Lui qui était déjà d'un naturel réservé et humble, il se refermait sur lui-même, semblait se considérer comme un véritable fardeau et avait laissé toutes ses parts de maigre nourriture à sa femme et à sa fille ces dernières semaines.

Cet enfer durait depuis trois mois.

Il y avait trois mois, le lundi 24 janvier 2103 précisément, 59 % des végétaux avaient développé une étrange maladie due à la pollution qui les rendaient extrêmement toxiques. Une seule bouchée, et la mort survenait en quelques minutes. Les végétaux sains étaient absolument identiques à ceux, mortels, ils avaient la même apparence, la même odeur et même la même saveur. Il était donc impossible de les différencier et tout le monde préféra, dans un premier temps, ne pas prendre de risque. Mais bien vite, les hommes durent se rendre à l'évidence : le bétail élevé pour sa viande se nourrit de végétaux et s'intoxique donc. Fait étrange, la vache ou le porc ne réagissaient pas au poison comme les humains et s'ils avaient un peu de fièvre, ils n'en mourraient pas. En revanche, manger du bœuf qui se serait lui-même nourri d'herbe toxique serait fatal pour un être humain.

Plus de boulangeries, plus de primeurs, plus de restaurants.

Le premier pays à avoir été entièrement décimé avait été un petit pays d'Afrique du Sud, extrêmement pauvre. N'ayant pas accès aux réseaux sociaux, ses habitants n'avaient pas reçu l'avertissement donné et ont continué à se nourrir à base de plantes. Certains pays riches avaient développé une technique horrible pour lutter contre cette destruction de la chaîne alimentaire qui consistait à transformer les condamnés à mort en cobayes. Cela fonctionna plutôt bien, mais les végétaux jugés comestibles étaient revenus aux plus riches, leur prix ayant grimpé et grimpé, tant et si bien qu'aucune boutique de nourriture n'ouvrait ses portes dans le quartier modeste où vivait Jeanette.

Petit à petit, on perdit le compte des victimes de la famine et les quelques villages restants sur la planète devinrent rapidement déserts. La correspondante de Jeanette, qui vivait à la Réunion, cessa un jour de donner des nouvelles. La petite se refusa de croire à son décès et se persuada que son amie était simplement partie en voyage, ou qu'elle n'avait plus accès à sa messagerie. Elle continua de lui donner des nouvelles d'elle, chaque semaine. L'espoir en elle ne mourrait pas.

Malheureusement, il mourrait en beaucoup de gens.

Les écoles n'accueillaient plus qu'un petit nombre d'élèves : en effet, les enfants étaient les premiers touchés, étant fragiles et en pleine croissance. Beaucoup se demandaient comment une si petite fille que Jeanette, âgée d'à peine sept ans, pouvait encore être vivante. C'était simple : Jeanette avait de l'espoir. Plus d'espoir qu'un grand nombre d'adultes réunis. Pourtant, elle savait que sa fin, comme celle de son monde, était proche, et qu'elle n'atteindrait jamais l'âge adulte. L'État distribuait de très petites quantités de nourriture chaque mois aux foyers français, mais c'était à peine l'équivalent de trois ou quatre repas et c'était loin de suffire pour une famille de trois personnes.

On en était à la fin du mois d'avril. Jeanette avait mangé une bouillie à base d'eau, de sel et d'aliment non identifié quelques jours auparavant. Son père avait beau se priver pour elle, son estomac réclamait sans cesse à manger. Ses yeux perdaient de leur éclat, elle se faisait plus maigre que jamais et tombait souvent dans les pommes.

Jeanette baissa les yeux vers son torse qui flottait dans son pull trop ample. Elle aurait tellement aimé être un aigle, ou un lion. Ces carnivores n'avaient pas ce problème-là. Les hommes se faisaient même plus rares et cela était mieux pour eux. Oui, pourquoi ne suis-je pas née lionne ? pensa t-elle. Tout, plutôt que d'être née humaine pour mourir par la faute de mon espèce. Elle savait bien que les végétaux développaient une toxine à cause de la pollution. Longtemps, des écologistes s'étaient battus pour limiter tout ce qui la causaient, mais leurs efforts avaient été vains : l'air pollué avait attaqué les cellules des végétaux, créant ce qui allait devenir le plus grand génocide de l'humanité.

Une toux grasse secoua l'enfant. Cela lui arrivait fréquemment depuis sa naissance. Rares étaient ceux qui n'avaient pas de problèmes respiratoires. Elle descendit de sa chaise en vacillant et planta ses yeux dans ceux de sa mère.

- Est-ce tu penses que Rachel est morte, maman ?

Rachel étant sa correspondante réunionnaise. La dernière phrase de la jeune enfant remontait à plusieurs semaines, aussi sa mère fut-elle un peu prise au dépourvu lorsque sa fille prit de nouveau la parole. Elle hésita quelques instants en se mordant la lèvre, puis répondit franchement, en fuyant son regard :

- Eh bien... Oui, il y a peu de chances qu'elle ait survécu, ma Nettie.

Peut-être pensait-elle que son ton doux et gai l'aurait trompée ? Le visage blanc de l'enfant se ferma à cet aveu mais elle ne dit rien. Ainsi, sa mère avait perdu espoir, elle aussi. Peut-être était-ce parce qu'elle était adulte. Jeanette esquiva la main qui se voulait réconfortante et alla dans sa chambre. Elle se laissa tomber sur son lit de tout son poids, mais ce dernier ne frémit même pas tant elle était légère. Elle contempla son reflet dans le miroir en face d'elle. Elle vit une fillette pâle comme la mort, décharnée, dont le visage arborait un sérieux qui n'était pas de son âge, une mélancolie qui assombrissait ses traits délicats. Ses cheveux clairs sans éclat l'encadraient, créant un rideau fin et lisse le long de ses tempes. Néanmoins, elle restait belle. Pâle et en mauvaise santé, mais belle. Une beauté sombre et inquiétante qui reflétait un désespoir profond qu'une si jeune enfant ne devrait pas ressentir.

Son estomac émit une nouvelle plainte. Elle soupira. Puisqu'il voulait être rempli, elle allait le remplir. Jeanette revint dans la cuisine et quémanda un verre d'eau d'une voix rauque. Tandis qu'elle l'avalait, elle croisa, perplexe, le regard plein de larmes de sa mère et juste après, elle remarqua que le comprimé de son père ne se trouvait plus à sa place.

Tortures & SupplicesWhere stories live. Discover now