Demain est une drôle d'idée

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Bruxelles (plus précisément Schaerbeek), dans un passé pas du tout lointain

Je suis tombé sur le facteur en rentrant du bureau de poste de l'avenue Plasky. J'avais mon formulaire de changement d'adresse en main quand nous nous sommes fait peur dans le hall de l'immeuble. Nous avons eu peur pour la même raison : aucun de nous deux ne s'attendait à rencontrer quelqu'un d'autre dans cet immeuble. Moi, parce que j'étais le premier et le seul habitant de cet immeuble, lui parce que c'était la première fois qu'il avait du courrier à déposer à cette adresse.

Nous deux, en chœur :

— Vous m'avez fait peur !

Lui :

— J'ai un courrier pour Paul Quertinmont. Je suppose que c'est vous ?

— Vous supposez bien ?

— Ça dit que vous avez la boîte 3A, mais je ne trouve pas la boîte 3 A.

Nos regards ont convergé vers les boites aux lettres. Un léger film plastique protégeait encore leur virginité. Aucune d'elle ne portait de nom ou de numéro.

— C'est probablement un courrier du propriétaire pour me dire laquelle est ma boîte aux lettres.

— En attendant, je vais vous le donner en main propre, mais mettez-vous en ordre de boîte aux lettres rapidement s'il vous plaît. On a de moins en moins temps pour les distributions.

Je tendis la main pour recevoir, à n'en pas douter, une enveloppe en Conqueror crème contenant un bristol de bienvenue en 120g/m2. Peut-être même du 160.

Eddy a plongé la main dans sa sacoche en cuir et en a sorti...

Une carte postale de Durbuy.

Il a marmonné une salutation d'au revoir et je ne sais plus si, sous l'emprise de la surprise, j'ai eu le réflexe de réciproquer.

Le recto montrait Durbuy vu d'avion ou de Montgolfière. Je n'ai plus mis les pieds à Durbuy depuis qu'en route vers le Luxembourg pour admirer l'éclipse du 11 aout 1999 j'y suis tombé en panne de voiture.

Le verso portait un timbre banal, mon nom, mon adresse, la boite postale. Un bic bleu banal a tracé des lettres qui ne disent pas beaucoup sur celui ou celle qui les a tracés. Dans la case réservée au texte il y avait.

On passe de super vacances. On pense à toi ! Foutue appendicite. Bisous de Manon, Louis et moi-même bien sûr. Mon propriétaire étant un couple de messieurs : ce n'était donc pas eux qui poussait le service après-vente jusqu'à me tenir informé du bon déroulement de leurs vacances.

J'avais pris ma journée pour diverses démarches administratives. J'ai décidé de rentrer à l'appartement et de me faire un thé vert.

Vous voyez l'odeur enivrante d'une voiture neuve. Multipliez ça par autant que vous voulez, vous n'arriverez pas à vous imaginer quel pied j'ai pu prendre en aspirant de pleines poumonées d'air neuf d'appartement neuf dans un immeuble neuf. Qui d'autre s'est trouvé à ma place ? Louis XIV à Versailles ? Un pharaon dans sa pyramide ? Mitterrand dans la sienne ? George Washington dans la Maison-Blanche ?

Le mobilier de mon appartement avec Zoé était dispersé chez divers antiquaires et brocanteurs. J'étais dans du Habitat et un peu de Ikea. Quand le chèque de l'assurance est arrivé, l'image de la carcasse de sa Panda et du camion m'est brièvement revenue. Le cadeau d'adieu de Zoé c'était ça : un appartement blanc comme une page et des meubles qui avaient encore l'apprêt du neuf.

Je me suis versé une tasse de thé sur ma coffee table, j'ai retiré mes pieds des mocassins et j'ai cherché une explication raisonnable. Celle qui m'a paru la plus raisonnable : un message des services secrets d'un pays ou d'un autre qui n'a pas trouvé son destinataire. J'ai allumé la télé. Elle parlait d'attentat dans le métro de Londres. J'ai éteint la télé, allumé mon portable et commencé à répondre à quelques mails professionnels.

Pulling a BradburyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant