Borsalino à Barcelone

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Nue devant le triple miroir de son dressing, elle étire son mètre cinquante-neuf et s'examine sous toutes les coutures. Lorraine Moristel se trouve presque parfaite, sous toutes les coutures. Son tailleur bleu marine est vautré sur le lit derrière elle. Un seul des deux oreillers de ce lit a encore des traces de sommeil au creux des plis. La table de nuit supporte des dossiers. La papeterie porte le logo d'un cabinet de consultance bien connu.


À côté d'un adaptateur qui permet de se brancher à une prise électrique n'importe où dans le monde, son smartphone émet des notifications à intervalles soutenus. Il s'agit presque exclusivement de notifications provenant de son adresse mail professionnel. Pas de copain d'université redécouvrant son existence sur un réseau social. Pas de photo d'organe envoyée par un flirt en ligne.


Elle remet son macbook pro dans sa housse et sort d'un placard un vieux toshiba couvert d'autocollants. Des festivals de musique alternative. Un cyber café/laverie automatique/discothèque de Berlin. Une limonade très appréciée au Chili. Elle l'allume. Rien ne se passe. Elle branche le câble d'alimentation. Le vieux portable consent enfin à s'allumer et la batterie à se recharger.


Elle sort un moleskine de la table de nuit et s'arrête en plein geste. Toujours nue, elle ferme le rideau d'un grand geste. De l'autre côté de la rue, quelqu'un déserte sa terrasse et retourne regarder le journal de France 3. Elle ouvre le moleskine à une page cornée, prend un cadenas, un étrange outil métallique, ferme les yeux et ouvre le cadenas presque du premier coup.

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Habillée devant les miroirs de son dressing, elle s'examine sous toutes les coutures. Elle ajuste soigneusement le borsalino à larges bords qui pendant cinq jours ne la quittera qu'au lit et à l'intérieur des églises. Elle porte des chaussures plates dont le cuir crie cirage, un jeans usé et déchiré au genou droit et un t-shirt à motifs marinière.


Elle compare avec la photo de son passeport. Elle ressemble suffisamment à la Lorrainne Moristel qu'elle laisse derrière elle pour passer la douane.

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Charles s'est soigneusement négligé la barbe. Il ne compte pas emporter son rasoir électrique pour ce week-end d'enterrement de vie de garçon. Son frère jumeau se marie dans deux semaines.


Charles enfile des nikes tout juste sorties de leur emballage. Il examine le contenu des poches de la veste de chasse sans manches qu'il compte ne pas quitter du week-end : smartphone, batteries pour le smartphone, décapsuleur, tire-bouchons, préservatifs, briquet, cigarillos et flasque à whisky. La perche à selfie, la crème solaire et les pilules pour purifier l'eau sont dans un petit sac à dos.


Dans une valise il entasse des confettis, de la mousse à raser, une perruque bleue électrique, une robe à fleurs et un panneau proclamant en anglais, en espagnol et en catalan. "Venez embrasser un futur marié. Je donne un euro pour un baiser.". L'espace restant est entièrement occupé par des rouleaux de papier toilette.


Charles regarde sa banlieue de Luxembourg par la fenêtre de son appartement. Il voit des courts de tennis, des SUVs, quelques piscines et un terrain de pétanque. Une mère de famille passe en bas de chez lui à la poursuite d'un délinquant juvénile de trois ans qui fait de la trottinette sans casque.


Charles ouvre le petit coffre dans le mur de sa chambre et en sort des billets de cent euros. Il en remet quelques-uns dans le coffre. Oh, et puis zut, c'est pas tous les jours qu'on enterre la vie de garçon de son jumeau. Il reprend dans le coffre ce qu'il y avait remis. Il glisse son portefeuille dans une poche intérieure munie d'une fermeture éclair.

Pulling a BradburyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant